Les Affaires

Le Canada, un pays habité par des riches

- Ianik Marcil Économiste

Selon le récent palmarès du magazine Forbes, le Canada compterait 64 milliardai­res en 2021, soit 10 de plus qu’il y a un an. Notre pays arrive au huitième rang parmi ceux qui comptent le plus de milliardai­res sur la planète. C’est tout de même inouï, pour un pays certes riche, mais si peu populeux en proportion. Lorsqu’on compare en proportion de la population, c’est encore plus frappant. Le Canada arrive au quatrième rang, après les États-Unis, Taiwan et l’Australie — mais dans les deux derniers cas, à peu de choses près, 1,68 milliardai­re par million d’habitants contre 1,99 et 1,71 pour Taiwan et l’Australie, respective­ment. Qui plus est, le Canada a exactement deux fois plus de milliardai­res que le Royaume-Uni, alors que son PIB est 1,7 fois moins important ! Pourtant, le Canada est reconnu comme étant une juridictio­n aux taux d’imposition élevés et possédant un des systèmes de redistribu­tion les plus équitables du monde. Les États-Unis d’Amérique, perçus comme le pays capitalist­e par excellence, ont à peine 1,3 fois plus de milliardai­res que « nous ». Qu’est-ce qui explique cela ? D’avance, je n’ai pas la réponse. Mais la question mérite d’être creusée. J’ai d’abord cru qu’une partie de l’explicatio­n résidait dans nos grandes richesses naturelles. Mais non. Les milliardai­res canadiens ont fait fortune autant dans la technologi­e (comme David Cheriton), les médias (David Thompson, la plus grande fortune du pays), le commerce de détail (Alain Bouchard) ou la finance (Stephen Jarislowsk­y) que dans l’alimentati­on (Lino Saputo), pour n’en nommer que quelques-uns. Posséder une fortune valant plus de 1 milliard de dollars (G$) n’est pas rien. Bien sûr, il s’agit d’un plafond symbolique très fort. D’un autre côté, il s’agit d’un levier financier énorme. On ne parle pas ici d’avoir un actif net de 2 ou 3 millions de dollars, qui est accessible à bien des familles de la classe moyenne au moment de la retraite. On parle de 1 000 fois plus. Selon Forbes, la fortune totale des milliardai­res canadiens est présenteme­nt de 231 G$, en hausse de 88 G$ par rapport à l’an dernier, une hausse de 38 %. Essayez de battre ça avec votre REER autogéré. On fait de l’argent avec de l’argent. Une partie de la réponse repose peut-être dans l’arrangemen­t institutio­nnel de notre pays. Certes, nous avons un système social fort et des mécanismes de redistribu­tion du revenu solides. Mais en même temps, dans ses livres et films, la fiscaliste Brigitte Alepin montre que le Canada fait partie d’un système mondial qui permet l’optimisati­on fiscale en collaborat­ion avec les paradis fiscaux. Nous y participon­s malgré nous. Nos lois sur l’impôt sont à ce point complexes qu’une sous-ministre en titre du Revenu m’a déjà avoué (publiqueme­nt) qu’aucun fonctionna­ire n’est en mesure de les comprendre dans leur entièreté. Des cabinets de fiscaliste­s et comptables font fortune pour les contourner. Il y a là quelque chose d’indécent. Faire de l’argent, faire fructifier ses épargnes n’est évidemment pas une tare. L’actif net des familles canadienne­s était en 2019 de 329 000 $ ; celui du quintile inférieur, de… 3000 $. Il y a quelque chose de profondéme­nt déréglé dans cette situation.

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