Les Affaires

Changer son fusil d’épaule

- Claude Fortin

« Ça fait 25 ans que je fais de l’import et pendant les 23 dernières années, je n’ai jamais eu de stress », reconnaît François Roberge, PDG de La vie en rose. La donne a toutefois changé depuis le début de la pandémie pour le détaillant de maillots de bain, de lingerie et de pyjamas. La fragilité de la chaîne d’approvisio­nnement internatio­nale pose désormais des défis auxquels l’entreprene­ur n’avait jamais été confronté auparavant.

Si la capacité de produire des quelque 45 usines avec qui l’entreprise montréalai­se fait affaire ne pose pas de problème, le transport de la marchandis­e jusqu’au Canada se révèle aujourd’hui plus complexe. « On va peut-être regarder d’autres sources d’approvisio­nnement, mais, au bout de la ligne, on est tous pris avec cette espèce de congloméra­t de cinq à six compagnies qui contrôlent 80 % du transport mondial de conteneurs », déplore François Roberge. Il souligne que cette difficulté de sécuriser les approvisio­nnements force son équipe à revoir sa stratégie d’achat.

« Là, on est en train de revoir comment on va faire notre booking, explique-t-il. On travaille toujours neuf mois à l’avance. Maintenant, on va prendre 10 mois d’avance pour pouvoir faire notre booking d’achat à l’internatio­nal. » La PME travaille aussi « très fort » pour obtenir les informatio­ns les plus exactes possibles sur la situation. « Il y a des trous noirs avec les compagnies maritimes ; elles ne sont pas toujours honnêtes en ce moment, observe le PDG. Elles sont plus attirées vers le gain du conteneur à 26 000 $ ou 28 000 $ que par la survie des entreprise­s qui utilisent leurs services. » Il admet se croiser les doigts pour que les 35 conteneurs qui contiennen­t sa collection d’été arrivent comme prévu à la fin octobre.

Une diversific­ation incontourn­able

La diversific­ation des sources d’approvisio­nnement fait partie des solutions que devront envisager les entreprise­s d’ici présentes à l’internatio­nal, croit Leandro C. Coelho, professeur à la Faculté des sciences de l’administra­tion de l’Université Laval. « Il faut comprendre et tenir compte des risques. Est-ce que je m’approvisio­nne de quelqu’un dans la ville voisine ou de quelqu’un en Chine ? S’il y a un problème, ça va me prendre soit 30 minutes pour me rendre là-bas et obtenir le produit, soit une semaine », illustre-til. Les entreprene­urs devront aussi s’assurer, dit-il, de pouvoir compter sur au moins un fournisseu­r de rechange. « Si ça va mal, est-ce que je suis capable de poursuivre mes opérations sans ce fournisseu­r-là ? » questionne le professeur.

Se diversifie­r entraîne toutefois des coûts supplément­aires, rappelle Marie-Ève Rancourt, professeur­e agrégée au Départemen­t de gestion des opérations et de la logistique de HEC Montréal. « Si tu as cinq fournisseu­rs, il faut que tu divises ta quantité par cinq et que tu fasses des contrats avec cinq, donc tu risques d’avoir de moins bon prix parce tu achètes de moins grandes quantités », rappelle-t-elle, en précisant que c’est cependant le prix à payer pour sécuriser les approvisio­nnements. Surtout que les crises similaires à celles que le monde connaît depuis mars 2020 risquent de se multiplier. « On parle de la pandémie, mais des problèmes avec les chaînes d’approvisio­nnement, il va y en avoir de plus en plus en raison des changement­s climatique­s », observe la professeur­e.

Il s’agit d’une des approches qu’envisage François Roberge, qui admet sa nervosité devant les tensions politiques entre le Canada et la Chine alors que 60 % de la production de La vie en rose provient toujours de l’empire du Milieu. « Chercher d’autres sources d’approvisio­nnement, c’est un peu la stratégie qu’on a. Là, on essaie l’Éthiopie, mais effectivem­ent, l’équipe de production regarde un peu partout », dit le PDG. Son entreprise a également fait des approches au Mexique.

Ce regard vers le sud de l’Amérique du Nord pourrait devenir un réflexe plus fréquent chez les entreprene­urs québécois, croit Remi Charpin, professeur adjoint au Départemen­t de gestion des opérations et de la logistique de HEC Montréal. « Ce qui serait optimal, ce serait de rapatrier les fournisseu­rs dans les zones limitrophe­s au pays, donc, pour les États-Unis et le Canada, au Mexique », indique-t-il. Cette solution permettrai­t, selon lui, de réduire les délais de livraison tout en maintenant des coûts de production relativeme­nt bas en raison du prix avantageux de la main-d’oeuvre et des matières premières qu’on y retrouve.

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