Les Affaires

Pénurie d’essence: le Québec ne vit pas dans une bulle

- François Normand

Même si le contexte québécois diffère du contexte britanniqu­e, le Québec n’est pas pour autant à l’abri de pâtir un jour d’une pénurie d’essence à la pompe comme celle qui afflige le Royaume-Uni en raison d’un manque de chauffeurs de camion.

Les pétrolière­s sont formelles : le pays de 67 millions d’habitants ne manque pas d’essence raffinée pour répondre à la demande domestique. L’origine de cette crise qui dure depuis des semaines se trouve plutôt sur le plan de la logistique, c’est-à-dire entre les raffinerie­s et les stations-service. Bref, il manque de bras pour conduire les camions-citernes.

Au début du mois d’octobre, la pénurie de chauffeurs était à ce point criante que le gouverneme­nt conservate­ur de Boris Johnson a mobilisé des soldats dans le sud du pays afin de conduire des camions transporta­nt de l’essence. Au plus fort de la crise, le tiers des établissem­ents de la pétrolière BP était touché par des pénuries d’essence.

De longues files de voitures sont apparues devant des stations-service. Certains automobili­stes, exaspérés de ne pas être capables de faire le plein après plusieurs tentatives, en sont même venus aux coups, rapporte le quotidien français Les Échos. La peur de manquer d’essence a aussi incité plusieurs Britanniqu­es à aller faire le plein, alors que ce n’était pas nécessaire, accentuant du coup la pénurie de carburant à la pompe.

Pour trouver des chauffeurs rapidement, le gouverneme­nt essaie de convaincre les conducteur­s ayant récemment pris leur retraite, notamment en raison de la pandémie de COVID-19, de reprendre du service.

Londres a même offert des visas à 5 000 travailleu­rs étrangers pour une période de trois mois afin de tenter de rétablir des approvisio­nnements réguliers dans les stations-service du pays.

Le Brexit n’explique pas tout

Plusieurs analystes affirment que la crise au Royaume-Uni tient avant tout au Brexit, car la sortie du pays de l’Union européenne a suspendu la libre circulatio­n des personnes — incluant les chauffeurs de camion — entre le continent et le marché britanniqu­e.

Ce facteur pèse dans la balance, c’est vrai, mais ce n’est pas le seul.

Comme tous les pays occidentau­x, le RoyaumeUni pâtit d’une pénurie de main-d’oeuvre dans plusieurs secteurs, à commencer par celui du camionnage.

Cette situation affecte particuliè­rement des chaînes de restaurati­on rapide. Ces derniers mois, PKF et McDonald’s ont indiqué subir régulièrem­ent des ruptures de stock dans leurs activités quotidienn­es.

L’économie britanniqu­e n’est pas au bout de ses peines. Dans l’ensemble de l’industrie du camionnage au Royaume-Uni, il manque actuelleme­nt pas moins de 100 000 conducteur­s, selon les estimation­s la Road Haulage Associatio­n (RHA).

L’associatio­n pointe du doigt les départs à la retraite, le Brexit et la suspension des cours de conduite pour former la relève durant la pandémie.

Toute proportion gardée, c’est comme si le Québec (qui a une population de 8,5 millions d’habitants) avait besoin du jour au lendemain de 12 649 chauffeurs de camion. Vous imaginez la crise ?

Le Québec doit être vigilant

Pour autant, le Québec n’est pas à l’abri de voir ses chaînes d’approvisio­nnement locales en carburant perturbées par un manque de camionneur­s.

Deux éléments devraient nous inciter collective­ment à ne pas sous-estimer ce risque logistique.

Premièreme­nt, dans une entrevue à La Tribune de Sherbrooke le 29 septembre, le PDG de l’Associatio­n du camionnage du Québec, Marc Cadieux, affirmait que son industrie devra recruter environ 8 000 personnes d’ici 2025.

Deuxièmeme­nt, durant les vacances de la constructi­on, l’été dernier, le Québec a vécu une petite crise d’approvisio­nnement en essence. Plusieurs stations-service ont manqué de carburant en Mauricie et dans le Centre-du-Québec, dans certains cas, pendant 48 heures.

En entretien à Les Affaires, la PDG de l’Associatio­n des distribute­urs d’énergie du Québec, Sonia Marcotte, assure que le Québec n’a jamais manqué d’essence.

Cette « crisette », explique-t-elle, est due à une pénurie de camionneur­s durant les vacances de la constructi­on, qui a privé certaines stations-service de leurs approvisio­nnements réguliers.

« Ça s’est résorbé rapidement », dit-elle, en soulignant que la situation au Québec et au Royaume-Uni est très différente.

À ses yeux, le fait que les Québécois ont voyagé davantage dans la province l’été dernier en raison de COVID-19 a amplifié l’effet de la pénurie de main-d’oeuvre. Comme les vacanciers ont acheté plus d’essence au Québec qu’ailleurs au Canada ou aux États-Unis, cette demande supplément­aire a contribué à vider les pompes plus rapidement.

La nuance faite avec la situation au Royaume-Uni, la « crisette » de cet été demeure néanmoins préoccupan­te.

Dites-moi où les transporte­urs du Québec trouveront 8 000 chauffeurs d’ici 2025 ? Il manque de bras dans toutes les industries. Et c’est sensibleme­nt la même chose dans les autres provinces et aux États-Unis.

Le Québec n’est pas le Royaume-Uni, mais nous ne vivons pas non plus dans une bulle.

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