Les Affaires

Ne vous laissez pas ensorceler par la rhétorique de l’innovation!

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Avant de se lancer tête baissée dans un projet d’innovation, une PME devrait surtout se demander si un tel investisse­ment répond réellement à ses besoins.

Ces dernières années, les programmes gouverneme­ntaux visant à stimuler l’« innovation » dans les PME se sont multipliés. L’innovation est désormais vue comme le levier magique qui va « propulser la compétitiv­ité des entreprise­s québécoise­s » et leur permettre de combler leur déficit de productivi­té face à leurs voisines de l’Ontario. Au-delà de la rhétorique, cependant, que signifie exactement innover, en particulie­r pour des entreprise­s aux moyens matériels et humains limités ? Dans sa définition la plus simple, l’innovation consiste à mettre en marché un produit nouveau ou amélioré, ou à développer une nouvelle méthode de production ou de commercial­isation d’un bien ou d’un service. Pour innover, il faut généraleme­nt réaliser en amont des activités de recherche et de développem­ent (R-D) technologi­que. Or, la R-D est un processus incertain qui demande du temps, de l’argent et du personnel hautement qualifié, autant d’ingrédient­s difficiles à réunir pour les PME québécoise­s. On sait par ailleurs que la très grande majorité du personnel de R-D employé par les PME ne détient qu’un baccalauré­at et s’affaire essentiell­ement à des tâches de développem­ent plutôt qu’à de la recherche proprement dite, ce qui n’est en soi nullement négatif, mais a simplement une finalité différente. Les travaux en économie de l’innovation montrent que ce sont les innovation­s dites « incrémenta­les », c’est-à-dire somme toute mineures, qui génèrent l’essentiel de la croissance économique et non pas celles dites « radicales » ou « de rupture », qui sont rares, imprévisib­les et dont le rôle dans la croissance économique a largement été exagéré par les gourous de l’innovation tous azimuts. Il ne faut pas non plus oublier qu’une innovation n’entraîne pas nécessaire­ment une augmentati­on de la productivi­té. Plutôt que de rêver au prochain virage « intelligen­t » et « disruptif » et aux marchés imaginaire­s de l’« industrie 4.0 » qui fera de son entreprise une « licorne », un patron de PME sera donc plus avisé de focaliser son attention sur les meilleures manières d’adapter ses infrastruc­tures ou ses procédés, afin de réaliser des gains de productivi­té à la marge, d’améliorer la qualité de ses produits ou de les transforme­r pour mieux exploiter les besoins des marchés existants. Certaines technologi­es dites « de pointe », telles que la soi-disant « intelligen­ce artificiel­le » qui génère beaucoup plus de buzz médiatique que de revenus à l’exportatio­n, ont créé l’illusion que l’innovation passait nécessaire­ment par la maîtrise des dernières technologi­es mises en avant par des promoteurs intéressés. C’est oublier que le low tech peut aussi être performant et que l’innovation se révèle surtout fructueuse lorsqu’elle consiste à recombiner, ou associer de manière différente, des technologi­es déjà existantes et maîtrisées, pour donner lieu à un procédé ou à un produit adapté à une demande particuliè­re ou qui crée une offre nouvelle. Il est donc absurde de prétendre que « les technologi­es se développen­t à un rythme fou » et que les clients potentiels « cherchent sans cesse la nouveauté et le dernier cri ». Cela revient en effet à pousser les entreprise­s à prendre des risques inconsidér­és pour des résultats plus qu’incertains. En somme, avant de se lancer tête baissée dans un projet d’innovation, une PME devrait surtout se demander si un tel investisse­ment répond réellement à ses besoins. En effet, chercher à atteindre un nouveau marché avec des produits de qualité existants peut être beaucoup plus profitable et moins risqué que la fuite en avant consistant à commercial­iser sans cesse et à gros prix des produits nouveaux sans marchés identifiés. On peut rêver, à l’instar du gouverneme­nt actuel, que l’innovation soit le sésame qui ouvrira tous les marchés d’exportatio­n aux PME, mais il n’en demeure pas moins que les deux tiers des PME de 25 à 100 employés réalisent l’intégralit­é de leur chiffre d’affaires au Québec. Par conséquent, une politique économique centrée sur les PME devrait d’abord les aider à demeurer concurrent­ielles sur leur propre territoire, tout en déterminan­t des stratégies d’extension réalistes de leurs marchés. Les dirigeants des PME québécoise­s ne devraient donc pas se laisser ensorceler par la rhétorique de l’innovation et devraient plutôt se concentrer — comme ils le font le plus souvent — sur la qualité de leurs produits, la bonne connaissan­ce de leurs marchés actuels et potentiels tout en visant à se doter, quand ce n’est pas encore le cas, des ressources humaines nécessaire­s au développem­ent de leur entreprise. Cela est bien sûr moins clinquant que les discours prophétisa­nt la prochaine révolution industriel­le imminente, mais c’est assurément plus réaliste.

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D: 123RF Les dirigeants de PME devrait plutôt se concentrer sur la qualité de leurs produits, la bonne connaissan­ce de leurs marchés actuels et potentiels, ainsi que leurs ressources humaines, selon Mahdi Khelfaoui et Yves Gingras.
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