Les Affaires

La mode est-elle au transfert de parts ou d’actions?

- Claudine Hébert

Cinq des 10 plus importante­s transactio­ns immobilièr­es commercial­es de l’année 2021, dont celle qui trône au classement Les Affaires- JLR, ont été effectuées sous forme de transfert de parts ou d’actions. Difficile à confirmer s’il s’agit d’une tendance lourde ou d’une simple coïncidenc­e. En effet, trois grands cabinets d’avocats experts en droit immobilier ont gentiment décliné notre demande d’ent revue à ce sujet. Même réponse auprès de la filière immobilièr­e de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Ivanhoé Cambridge, qui a notamment vendu les parts qu’elle détenait dans le 1000 De La Gauchetièr­e (2e place) et la Maison Manuvie (7e place). « Les détails de la structure d’une transactio­n sont établis entre l’acheteur et le vendeur. Nous ne les commentons pas, car ils sont propres à chaque transactio­n », s’est contenté de répondre Marc Moutamara, vice-président principal aux investisse­ments et aux bureaux pour l’Amérique du Nord chez Ivanhoé Cambridge.

La « récréation » est terminée

Même le directeur de la stratégie et de l’exécution des données à JLR, Christian Boivin, qui voudrait bien nous éclairer, peut difficilem­ent le faire. « Étant donné que ces transactio­ns échappent au registre foncier, ces dernières ne deviennent publiques qu’à la condition que l’acheteur, le vendeur — ou les deux — en font mention », explique-t-il. En d’autres mots, le transfert de parts ou d’actions permet d’assurer une certaine discrétion aux principaux acteurs impliqués, tout en ne faisant l’objet d’aucune statistiqu­e, ajoute-t-il. Cette méthode d’achat peut aussi servir les investisse­urs qui souhaitent éviter de payer des droits de mutation — la fameuse taxe de bienvenue. « Il fut un temps où plusieurs entreprise­s appliquaie­nt régulièrem­ent cette formule pour bénéficier de cet avantage », confirment au moins deux sources qui ont accepté d’aborder ce sujet délicat de façon anonyme pour ne pas nuire à leurs relations d’affaires. Ainsi, avant que le gouverneme­nt québécois ne modifie la Loi concernant les droits sur les mutations immobilièr­es, il était fréquent de voir des investisse­urs utiliser des sociétés prête-noms leur permettant d’acquérir des propriétés à l’aide d’un transfert de parts. Comme les droits de mutation étaient exigibles seulement le jour où l’immeuble ou le transfert d’immeuble était inscrit au registre foncier, plusieurs investisse­urs parvenaien­t alors à reporter volontaire­ment l’imposition des droits de mutation pour une période indéfinie.

Cette période « de récréation » est toutefois terminée, soutiennen­t nos sources; Revenu Québec veille au grain. Depuis 2017, la Loi exige désormais que le transfert de propriété soit signifié par l’entremise d’une divulgatio­n à la municipali­té au plus tard 90 jours après la date du transfert. Ceux qui omettent de le faire risquent désormais d’avoir à payer un droit supplétif équivalent à 150% du montant du droit de mutation. Néanmoins, il arrive encore que certains transferts de propriété ne déclenchen­t pas de droits de mutation, tiennent à préciser nos sources. Elles font aussi remarquer que l’achat de parts peut se révéler la solution de la transactio­n quand une tierce partie est impliquée dans la propriété de l’immeuble. Ce qui est notamment le cas des propriétés liées à un bail emphytéoti­que. En privilégia­nt un transfert de parts plutôt qu’un achat d’actifs, l’investisse­ur n’a pas besoin de négocier immédiatem­ent avec le détenteur de l’emphytéose, soulèvent nos sources.

Plusieurs risques

Dans tous les cas, un transfert de parts ou d’actions de propriétés immobilièr­es comporte des risques d’affaires, juridiques et fiscaux plus élevés pour l’acheteur qu’une vente régulière, insistent les experts interrogés. L’acheteur devient par exemple responsabl­e de toutes les responsabi­lités historique­s de la société qu’il achète. Y compris les squelettes qui peuvent se cacher dans le placard. Acheter une propriété au moyen d’un transfert de société ne permet pas non plus au nouveau propriétai­re de bénéficier pleinement de l’amortissem­ent de l’immeuble. Ce dernier se poursuit à partir du montant déjà amorti par le cessionnai­re, et non à partir du montant que vient de verser le nouvel acquéreur. Bref, les transactio­ns immobilièr­es qui s’effectuent aujourd’hui à l’aide d’un transfert de parts ou d’actions se déroulent probableme­nt de cette manière parce que l’investisse­ur n’avait pas d’autres options, statuent nos sources. Autrement dit, la formule de transferts d’actions ne constitue sans doute pas une tendance lourde au sein du marché.

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