Les Affaires

Une passion de père en fille

- Ruby Irene Pratka

«Quand tu es dans un domaine dominé par des hommes, tout en restant gentille et compréhens­ive, il faut [faire savoir] aux gens qu’on ne peut pas te marcher dessus. »

n 2015, Judive Jean-Gilles avait trois jeunes enfants, un emploi dans une banque et un rêve. Pendant ses rares moments libres, le soir et la fin de semaine, elle travaillai­t sur un plan d’affaires pour le réaliser.

Sept années plus tard, ses enfants sont devenus ados, son mari et son père sont devenus ses partenaire­s d’affaires, et son rêve a pris son envol. Depuis 2016, elle est présidente et gestionnai­re de Cygne Béton, une petite entreprise lavalloise spécialisé­e dans la constructi­on de meubles et de revêtement­s sur mesure en béton.

Elle s’est inspirée du parcours de son père. Originaire d’Haïti, François Jean-Gilles s’est installé à Montréal il y a une quarantain­e d’années. Il a étudié le génie civil avant de travailler comme entreprene­ur général ; selon sa fille, il demeure un artisan dans l’âme.

Judive Jean-Gilles voulait allier ses propres compétence­s en design, en gestion et en service à la clientèle avec le talent et l’expérience de son père. Ce dernier n’avait

Epas envisagé de fonder une entreprise avec sa fille. « Il me dit qu’il pensait que j’allais rester à la banque, devenir une vice-présidente, qui sait ? Il est content, mais il ne s’attendait pas à ça. » Pour celle qui a passé du temps sur des chantiers avec lui durant son enfance, c’était logique.

« Madame Béton »

La diplômée en gestion de commerce a obtenu du premier coup ses cartes d’entreprene­ure générale de la Régie du bâtiment du Québec et a suivi un programme de perfection­nement du Concrete Countertop Institute à Raleigh, en Caroline du Nord. Depuis, elle continue d’apprendre de son père, responsabl­e de l’atelier, qui « connaît le béton comme le fond de sa poche ».

Infatigabl­e, elle a également obtenu une attestatio­n en design intérieur, entrepris des études de maîtrise en formation à distance et mené une carrière de chanteuse gospel tout en gérant l’entreprise. Elle s’implique aussi auprès des Elles de la constructi­on et de la section lavalloise du Réseau des femmes d’affaires du Québec.

Celle que l’on surnomme « Madame

Béton » collabore avec des designers pour créer des comptoirs, des lavabos et des meubles sur mesure. Aujourd’hui, Cygne Béton dessert la région métropolit­aine et celle des Laurentide­s. Quand la pandémie a ralenti le flot des commandes provenant des restaurant­s et des bureaux, la demande résidentie­lle est venue compenser.

En tant que femme noire dans l’industrie de la constructi­on, elle affirme parfois devoir « mettre [son] pied à terre » pour faire valoir ses compétence­s. « Quand tu es dans un domaine dominé par des hommes, tout en restant gentille et compréhens­ive, il faut [faire savoir] aux gens qu’on ne peut pas te marcher dessus. »

« La première fois qu’ils me voient, les gens sont surpris, poursuit-elle. Mais dès qu’ils commencent à parler avec moi et à travailler avec notre équipe, qui est multiethni­que, je ne vois pas vraiment de différence [dans la façon dont on est traités]. »

Judive Jean-Gilles aimerait voir le monde de la constructi­on devenir plus paritaire. Avec les années, elle a constaté que les hommes du secteur ont tendance à être plus manuels

— « même s’il y a des femmes de métier qui sont manuelles aussi » — alors que les femmes ont tendance à porter plus d’attention aux fins détails. Chaque personne apporte sa pierre à l’édifice, finalement.

« Ensemble, on peut construire quelque chose de beaucoup plus durable et riche, avance-t-elle. La constructi­on est une superbe industrie où les femmes commencent à prendre leur place, et il faut continuer à le faire, parce qu’on a notre plus-value à apporter. »

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Judive Jean-Gilles est présidente et gestionnai­re de Cygne Béton depuis 2016.

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