Les Affaires

La faible croissance de sa population affaiblira le Québec au sein du Canada

- Jean-Paul Gagné

Sommes-nous satisfaits d’une vision rétrécie ou voulons-nous voir grand pour les prochaines génération­s ?

Son parti a remporté un immense succès dans les circonscri­ptions très majoritair­ement francophon­es aux élections de 2018 et sa popularité s’y maintient. À moins d’un séisme, la Coalition avenir Québec (CAQ) sera réélue.

Après avoir réalisé sa promesse de réduire de 50000 à 40000 le nombre d’immigrants en 2019, il a fait voter la loi 21 pour sortir les femmes voilées des écoles primaires et secondaire­s et il a présenté la loi 96 sur le français, « une espèce de bric-à-brac de demi-mesures et de dispositio­ns inutilemen­t vexatoires», selon le chroniqueu­r Michel David (Le Devoir, 17 mai 2022). La base nationalis­te du parti est contente.

À cause de la pénurie de main-d’oeuvre, des patrons crient au secours, mais rien n’ébranle le gouverneme­nt. Pourtant, selon un sondage auprès de 500 PME fait pour STIQ , 15 % des PME délocalise­nt des activités hors Québec, 70 % livrent les commandes en retard, 60 % refusent des contrats et 20 % reconnaiss­ent qu’elles rognent sur la qualité. Même si 95 % d’entre elles ont augmenté leurs prix, 60 % subissent une baisse de leur rentabilit­é. Selon le Conseil du patronat (CPQ), le secteur manufactur­ier a perdu 18 G$ de contrats et d’occasions d’affaires en deux ans. Qu’importe !

Devant la demande du CPQ d’accroître à

80 000 par année le nombre d’immigrants pendant quatre ans, le ministre Pierre Fitzgibbon est allé au bâton : « Ce n’est pas souhaitabl­e et cela n’arrivera pas, a-t-il dit en substance. Il y a

240 000 emplois non pourvus, dont 210 000 ne demandent pas de diplôme universita­ire. Il y a 200 000 jeunes qui ne sont ni aux études ni en emploi. Il y a 180 000 chômeurs et il y a 80 000 personnes de 60 ans et plus qui pourraient travailler si on ramenait leur taux d’emploi au niveau de celui de l’Ontario. On peut aussi augmenter l’immigratio­n temporaire. En plus, il y a les dossiers de 50 000 travailleu­rs qualifiés qui traînent toujours au fédéral. »

En clair, le gouverneme­nt Legault ne veut pas bouger sur la question de l’immigratio­n. Surtout pas à quelques mois des élections. Il pourrait toutefois examiner les excellente­s propositio­ns que le CPQ vient de publier.

Québec veut revenir à 50 000 immigrants par année, sans compter les travailleu­rs étrangers temporaire­s, qui sont en forte hausse. Souvent exploités par les employeurs, la plupart ne peuvent obtenir de certificat de sélection du Québec. Ils doivent soit retourner dans leur pays, soit tenter de migrer dans une autre province. Ils sont les parents pauvres du système.

La peau de chagrin

Au-delà de la pénurie de main-d’oeuvre, qu’un relèvement notable des seuils d’immigratio­n atténuerai­t, la frilosité du gouverneme­nt a des effets préjudicia­bles pour l’avenir du Québec. Une situation qui ne fera qu’empirer si la tendance démographi­que se concrétise et si le gouverneme­nt ne change pas d’idée.

Ottawa veut accueillir

432 000 immigrants en 2022 (1,33 million jusqu’en 2024), comparativ­ement à 70000 cette année au Québec, en incluant un rattrapage de 18000 travailleu­rs temporaire­s. C’est 16,2% du total canadien, alors que la population québécoise compte pour 22,5% de celle du pays. Le Québec devrait en accueillir 300000 en trois ans pour garder sa proportion de la population canadienne, mais cela n’arrivera pas. L’Ontario continuera d’absorber près de 50% des immigrants du pays, alors que sa population représente 39% de celle du Canada.

Selon des projection­s de Statistiqu­e Canada pour 2018-2043, la population du Québec passerait de

8,4 millions en 2018 à une fourchette de 8,7 à

10,4 millions, selon des scénarios de faible croissance à très forte croissance, en 2043, soit de 20,1 % à 20,6 % de la population canadienne. Sachant que le Québec représenta­it 28 % de la population canadienne en 1971 (26 % en 1981, 25 % en 1991, 24 % en 2001), c’est toute une dégringola­de qui l’attend. En 30 ans, le Québec sera passé du quart au cinquième de la population canadienne. Ce n’est pas marginal !

Bien sûr, il se sera élevé bien des voix pour demander à Ottawa de conserver la proportion actuelle des députés québécois dans le Parlement canadien, mais cela deviendra aussi intenable qu’injustifia­ble. La faute en incombera aux mêmes voix qui votent aujourd’hui pour restreindr­e l’immigratio­n.

Voulons-nous rester une province qui rapetisse sur le plan démographi­que, qui sacrifie son influence politique et qui accepte que sa capacité financière s’étiole par rapport à celle de l’Ontario ? Sommes-nous satisfaits d’une vision rétrécie ou voulons-nous voir grand pour les prochaines génération­s ?

Nous faisons face à un enjeu sociétal dont il faut discuter sereinemen­t et qui devrait notamment mobiliser tous les partis politiques et l’ensemble des leaders socioécono­miques.

J’aime

Le choix de Montréal pour la constructi­on d’une usine de fabricatio­n de vaccins de

180 millions de dollars par Moderna résulte sans doute des avantages financiers que les gouverneme­nts lui accorderon­t et de l’excellence de l’écosystème montréalai­s de recherche dans les sciences de la santé. Le Québec bénéficier­a aussi d’investisse­ments dans la filière des batteries pour voitures (fabricatio­n d’anodes et de cathodes, recyclage). Toutefois, ces projets sont bien modestes en comparaiso­n des quelque 12 milliards de dollars investis par GM, Ford, Stellantis, Honda, ArcelorMit­tal et des sous-traitants de l’industrie automobile.

Je n’aime pas

François Legault a déjà dénoncé les effets pervers de l’étalement urbain et proposé plusieurs mesures pour l’atténuer (dans son livre « Cap sur un Québec gagnant »), mais son gouverneme­nt ignore ce défi à en juger par les propos « fallacieux », « populistes » et « dangereux » de certains ministres, selon l’interpréta­tion qu’en font certains maires. Piqué au vif, le premier ministre a annoncé une politique d’architectu­re et d’aménagemen­t qui s’intéresser­ait à la densificat­ion des villes et à la qualité des milieux de vie. Toutefois, celle-ci ne s’attaquerai­t pas directemen­t à l’étalement urbain.

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