Les Affaires

Régime minceur au centre-ville de Montréal

- Claudine Hébert

n n’avait pas vu autant de pancartes « espaces à louer » au centre-ville de Montréal depuis longtemps. Au moins deux locaux commerciau­x sur cinq dans les immeubles de bureaux ont fermé leurs portes temporaire­ment ou de façon définitive à la suite de la pandémie, estime même Jean-François Grenier directeur principal du Groupe Altus, une agence de services-conseils et de solution de données en immobilier commercial.

Ce n’est guère plus reluisant dans les locaux pour bureaux. Selon les plus récentes statistiqu­es du marché présentées par l’agence immobilièr­e CBRE, le taux de disponibil­ité dans les tours de classe A et B du centre-ville frôle actuelleme­nt les 17 %. « Il faut retourner au début des années 2000 pour voir autant de locaux pour bureaux inoccupés », observe Sylvain Leclair, vice-président directeur pour le Québec au

Groupe Altus.

De très nombreux immeubles montréalai­s ont pourtant fait l’objet de transactio­ns à des prix historique­s, comme le montrent les classement­s 2020 et 2021 des 10 plus importante­s transactio­ns immobilièr­es commercial­es Les Affaires-JLR. Des appels auprès des principale­s agences de courtage immobilier laissent également présager que la situation n’est pas si dramatique qu’elle n’y paraît.

« La quinzaine d’immeubles de catégorie A, AA et AAA du centre-ville n’a jamais aussi bien performé au cours des deux dernières années », soutient François Létourneau, viceprésid­ent

Opremier VP, CBRE associé à JLL. Ces espaces de qualité supérieure, dit-il, continuent de trouver preneur. Il cite l’entreprise technologi­que new-yorkaise Behavox qui, au tout début de la pandémie, a fait main basse sur les deux derniers étages de la tour Manuvie à un tarif au-delà 60 $ le pied carré. « Des espaces qui avaient été inoccupés pendant plus de six ans », fait-il remarquer.

Même discours à la firme de conseil immobilier CBRE. «Ce n’est pas la première fois que Montréal vit un tel taux d’inoccupati­on élevé», avise le premier vice-président David Cervantes. En fait, poursuit-il, ces taux d’inoccupati­on élevés frappent essentiell­ement les immeubles de classe B et C. «Cela incitera ces propriétai­res à revoir la signature ou même la vocation de leurs bâtiments afin de retrouver des locataires », estime-t-il.

Loyers nets à la baisse

«Les prix affichés pour le pied carré de certaines tours de catégorie A peuvent effectivem­ent donner l’impression que les loyers demeurent à la hausse, reconnaît Sylvain Leclair. Mais lorsqu’on analyse de près les contrats de location, on constate que les incitatifs (mensualité­s offertes, allocation­s pour aménagemen­t, frais de déménageme­nt, etc.) sont en hausse, ce qui fait diminuer loyer net versé aux propriétai­res.»

Cette diminution du loyer net pour les locaux pour bureaux de classe A du centre-ville s’approche même dangereuse­ment de la barre des 15$ le pied carré. «Avant la pandémie, ce même loyer net dépassait les 17$ le pied carré, ce qui était d’ailleurs une moyenne record pour le secteur », indique cet expert en analyse de marché.

Certes, il est facile d’attribuer l’augmentati­on de disponibil­ité d’espaces commerciau­x et de bureaux à la COVID-19. La pandémie a obligé les entreprise­s à adopter le télétravai­l en mode urgence. «Mais ce mouvement était déjà bien amorcé avant la pandémie», insiste Jean-François Grenier.

Il cite un sondage mené par les chercheurs

Shearmur, Tremblay et Lachapelle, de l’Université McGill, en octobre 2020. Après avoir interviewé quelque 1200 employés du centre-ville, ces derniers ont constaté que plusieurs employés d’entreprise­s de services publics, financiers et culturels pratiquaie­nt déjà le télétravai­l. «Tout juste avant que la pandémie ne survienne, la plupart d’entre eux ne passaient que de 65% à 79% de leur temps de travail au centre-ville de Montréal», résume-t-il.

Occasions pour les chasseurs d’aubaine

Ces bouleverse­ments ne sont pas sans susciter l’appétit des chasseurs d’aubaine, remarque Yvan Héroux, vice-président senior à l’agence NAI Terramont Commercial. «Ces taux d’inoccupati­on, jumelés aux incitatifs et autres avantages offerts par les propriétai­res avides d’avoir des locataires, permettent actuelleme­nt à des entreprise­s d’obtenir des espaces dits de catégorie A au prix d’espaces de catégorie B», constate-t-il. Et ce sont particuliè­rement les entreprise­s prêtes à sous-louer des espaces pour de courtes périodes — trois ans et moins — qui peuvent réaliser de substantie­lles économies allant jusqu’à 40% sur le prix du pied carré moyen, indique-t-il.

Il va de soi que les locataires auront l’avantage du marché, conclut le Groupe Altus. «Le taux de vacance des locaux pour bureaux — excluant la sous-location — pourrait atteindre les 22% d’ici cinq ans, estime Sylvain Leclair. Ce qui devrait avoir un effet à la baisse sur les loyers demandés, et ce, tant pour les locaux pour bureaux que pour les espaces commerciau­x.» Voilà une occasion pour les entreprise­s qui évitaient traditionn­ellement le centre-ville en raison des coûts des loyers élevés.

« [Les taux d’inoccupati­on élevés qui frappent essentiell­ement les immeubles de classe B et C] inciteront les propriétai­res à revoir la signature ou même la vocation de leurs bâtiments afin de retrouver des locataires. »

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada