Les Affaires

Le travail hybride vous fait perdre en efficacité

- : Bénédicte Brocard Photograph­e Catherine Charron

Tania Saba s’inquiète particuliè­rement pour ces entreprise­s qui considèren­t que le modèle hybride ou à distance sont des privilèges, de réels terreaux fertiles pour que certains groupes soient désavantag­és.

a professeur­e titulaire à l’École de relations industriel­les de l’Université de Montréal, Tania Saba, est on ne peut plus claire : « Le modèle hybride, quand il n’est pas réfléchi, devient source d’inefficaci­té. » Selon les conclusion­s de ses recherches, limiter son analyse à décider quels jours seront passés au boulot est loin d’être assez.

Depuis le début de la pandémie, la chaire BMO en diversité et inclusion dont elle est la fondatrice s’est penchée sur l’évolution du monde du travail et sur la place qui sera accordée au télétravai­l.

Elle constate qu’en

2022, « les gens se posent des questions, transporte­nt leur matériel, sont moins bien installés au bureau ou chez eux. Il y a une inefficaci­té qui vient du fait qu’on ne peut faire le même travail aux deux endroits ».

Le hic, c’est que de nombreuses entreprise­s établissen­t les barèmes de ce que sera le modèle hybride en ne se concentran­t que sur le calendrier, et non en fonction de la productivi­té que pourraient gagner leurs employés grâce à ce nouveau paradigme.

« On n’a pas entendu de questions qui ont transcendé l’horaire. On pressait les gestionnai­res de trouver les jours [à passer au bureau]… mais, par exemple, pour certains, il n’est pas question que ce soit le lundi ou le vendredi, de peur que tous se fassent de longues fins de semaine », s’étonne la professeur­e lors d’une

Lconférenc­e tenue le

12 mai 2022.

Selon elle, cette « obsession » vient du fait qu’il est plus facile d’imposer une politique de retour au travail homogène, que certains qualifient à tort de plus équitable. « Depuis quand l’horaire est une question d’équité ? C’est le système d’emploi qui doit l’être, pas l’horaire », rétorque Tania Saba.

La conseillèr­e en ressources humaines agréée s’inquiète particuliè­rement pour ces entreprise­s qui considèren­t que le modèle hybride ou à distance sont des privilèges, de réels terreaux fertiles pour que certains groupes soient désavantag­és.

«Qui va s’en prévaloir? […] Les femmes avec de jeunes enfants ou les personnes moins à l’aise dans les milieux de travail vont préférer travailler à distance, alors que les autres vont y retourner», explique-t-elle. Citant des propos tenus dans The

Economist, «on n’est pas loin de reproduire les milieux de travail des années 1960», prévient-elle.

Afin de profiter de cette période de « mutation », Tania Saba encourage les équipes de direction à expériment­er avant de coucher sur papier les nouvelles conditions du télétravai­l. Certes, au départ, les balises mises en place peuvent concerner le nombre de jours passé au boulot, concède-t-elle. Le modèle hybride ne doit toutefois pas se résumer qu’à ça.

« C’est complexe, on doit d’abord définir les activités à valeur ajoutée au bureau et à domicile, puis regarder les composants du travail, les tâches, où faire les réunions informativ­es ou de création, énumère-t-elle. Il faut créer des unités à partir desquelles on peut mesurer un système d’emploi. […] On ne doit pas oublier que les modalités qu’on veut appeler hybrides doivent être efficaces. »

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