Les Affaires

Une déferlante de whisky québécois s’apprête à inonder le marché

- Émilie Parent-Bouchard

est un secret mal gardé : plusieurs distillate­urs du Québec cachent des barriques à l’abri des regards, souvent au sous-sol. Non pas dans l’esprit de méfiance de la prohibitio­n, mais bien parce que bon nombre d’entre eux attendent patiemment de pouvoir présenter leurs whiskys aux Québécois.

La peine minimale: trois ans et un jour. C’est la durée de vieillisse­ment en baril pour que le moonshine, alcool de grain maintes fois copié au temps de la

C’Prohibitio­n, puisse prétendre au terme whisky. Alors que l’industrie québécoise de la distillati­on est passée d’une poignée d’initiés au tournant des années 2010 à plus de 80 détenteurs de permis industriel­s en 2022, on s’attend à ce que la vague du whisky submerge le Québec au cours des prochaines années.

« Il y a des distilleri­es qui ont trois ou quatre ans d’existence qu’on considère comme vétéranes », rigole Simon Bourbeau, directeur des spiritueux et des produits de célébratio­n à la

Société des alcools du Québec (SAQ). S’il croit que « 2023 va encore être une bonne année de croissance », il estime surtout que c’est en

2024 qu’il y aura « un essor important ».

Sur les tablettes de la SAQ , 36 whiskys québécois sont présenteme­nt offerts. Plus de 36 000 « caisses standards »

(36 000 fois neuf litres ou 12 bouteilles de 750 ml) ont été vendues cette année. Parmi elles, sept nouveautés (le Sivo Sélection Rye, le

St. Laurent 3 ans Rye ou encore le Monkeenuts, aromatisé au beurre d’arachide) qui contribuen­t à un accroissem­ent des ventes de l’ordre de 6 % dans cette catégorie de produits.

« Pour aller visiter des distilleri­es, je vois les barils. À la distilleri­e Côte des Saints, à Mirabel, [ce sont] des centaines de barils qui vont être prêts à être commercial­isés sous peu, raconte Simon Bourbeau. D’autres font vieillir des produits pour faire des tests ou des petits lots à vendre exclusivem­ent au lieu de fabricatio­n. » Il souligne qu’« il y a un engouement pour les whiskys ; les gens demandent de la nouveauté, même à l’internatio­nal ».

Deux écoles de pensée

Chez les distillate­urs, le whisky continue de séduire. Certains joueurs y placent d’emblée tous leurs jetons. L’investisse­ment initial — qui implique des équipement­s destinés à la production «du grain à la bouteille» et donc les pieds carrés nécessaire­s à la fermentati­on et au vieillisse­ment — incite cependant la plupart d’entre eux à s’appuyer d’abord sur d’autres «vaches à lait», comme le gin.

« On veut s’assurer d’avoir fait nos classes et d’avoir atteint une rentabilit­é avant d’embarquer dans le projet de whisky », fait valoir

Daniel Corriveau, copropriét­aire de Spiritueux Alpha Tango, microdisti­llerie ouverte à Val-d’Or à la fin de 2020.

Le succès rapide des gins primés d’Alpha

Tango — l’un à base de quenouille­s et l’autre infusé aux framboises — permet à cette entreprise père-fils de flirter avec la rentabilit­é. Et donc de continuer de renifler les effluves du « projet whisky embryonnai­re ».

« Le gin a justifié le roulement pour le whisky », confirme pour sa part Michael Briand, copropriét­aire de la distilleri­e O’Dwyer, pour qui le whisky fait partie des plans « depuis le début » du projet, en 2017.

Sauf que la « part des anges », soit la quantité d’alcool qui s’évapore en cours de vieillisse­ment, est encore trop importante dans le climat sec de Gaspé pour même penser à commercial­iser ce produit à grande échelle. Michael Briand dit ainsi perdre 20 litres par baril, soit l’équivalent d’un salaire, calcule-t-il.

« La perte acceptable pour la part des anges, c’est 3 %. Oui, on produit du whisky, mais avant d’en mettre [de grandes quantités] dans les barils, il faut qu’on trouve une solution à ce problème. Sinon, c’est jeter de l’argent par les fenêtres », fait-il valoir.

La « part des anges » du gouverneme­nt

Autre embûche sur la route du whisky : la majoration. Même s’ils vendent leurs produits directemen­t chez eux, les distillate­urs québécois doivent verser une « majoration à la vente sur place » au gouverneme­nt. Un paiement qui gruge les marges déjà minces des producteur­s d’alcool, croit l’Union québécoise des microdisti­lleries du Québec (UQMD).

Geneviève Laforest, agente de développem­ent à l’UQMD — qui représente 58 distillate­urs de la province —, croit que la modificati­on du cadre règlementa­ire pourrait permettre au Québec de devenir un « leader de la distillati­on » dans le monde.

« Je pense vraiment que si on est innovants et que le ministre de l’Économie et de l’Innovation (Pierre Fitzgibbon) endosse cette industrie-là, on pourrait développer — autant dans le whisky que dans les liqueurs, la vodka, le gin et l’acerum — une fierté locale absolument incroyable qui puisse se comparer à n’importe quels produits dans le monde », dit-elle.

 ?? ?? À la SAQ, 36 whiskys québécois sont présenteme­nt offerts sur les tablettes, dont le Tomahawk de la Distelleri­e Shefford.
À la SAQ, 36 whiskys québécois sont présenteme­nt offerts sur les tablettes, dont le Tomahawk de la Distelleri­e Shefford.

Newspapers in French

Newspapers from Canada