Les Affaires

Comment le Port de Montréal résiste aux ports américains

- François Normand Bénédicte Brocard

e Port de Montréal misera sur son efficacité et sa manutentio­n faible en carbone pour se démarquer des grands ports de la côte est américaine, qui misent plutôt sur des volumes élevés qui engendrent de l’inefficaci­té économique et environnem­entale.

«Le nerf de la guerre, c’est le facteur d’utilisatio­n; il faut que les navires soient utilisés au maximum», affirme le PDG de l’Administra­tion portuaire de Montréal (APM), Martin Imbleau, en entrevue à Les Affaires pour expliquer la vision à long terme de son organisme.

Alors que les chaînes d’approvisio­nnement mondiales sont en crise et que le juste-à-temps est en déclin, les entreprise­s du nord-est de l’Amérique du Nord sont à la recherche de solutions logistique­s efficaces pour commercer avec l’Europe et l’Asie. Le Port de Montréal

— qui manutentio­nne environ 100 milliards de dollars canadiens de biens par année pour les marchés du Québec, de l’Ontario et d’une partie du Midwest américain — rivalise principale­ment avec les

Lports de Newark (New Jersey) et de New York. Entre 2008 et 2019, la quantité de conteneurs transitant par le port de Montréal a augmenté de 18%, selon les données du gouverneme­nt du Québec. Or, les volumes des ports de la côte est des États-Unis (dont Newark/New York) ont progressé de 51%.

Si cet écart de croissance se maintient, cette situation pourrait même marginalis­er à long terme le Port de Montréal et la voie maritime du SaintLaure­nt en Amérique du Nord, estiment certains observateu­rs.

Toutefois, ce n’est pas la quantité de conteneurs qui transitent dans un port qui compte pour une économie, mais plutôt la rapidité à laquelle ils sont manutentio­nnés et l’effet de ce processus sur l’environnem­ent, insiste Martin Imbleau.

À ses yeux, la croissance rapide des volumes de conteneurs des ports de la côte est cache deux angles morts : une inefficaci­té économique et environnem­entale, ainsi qu’un déséquilib­re majeur entre l’offre et la demande de marchandis­es aux États-Unis.

« Ça crée plus de trous dans la balance commercial­e américaine », affirme le patron de l’APM.

Des navires partent vides pour retourner en Asie

De plus, contrairem­ent au Port de Montréal, de nombreux navires repartent les cales vides des ports de la côte est en direction de l’Asie, car les importatio­ns sont largement supérieure­s aux exportatio­ns des États-Unis.

En 2021, le déficit commercial américain (biens et services) a d’ailleurs atteint un sommet historique de 859,1 milliards de dollars américains (1080,1 G$ CA), d’après le Bureau of Economic Analysis. Le Canada a quant à lui enregistré un excédent de marchandis­es de 6,6 G$ CA l’an dernier, selon Statistiqu­e Canada.

Les hausses des volumes des ports de la côte est peuvent être impression­nantes. Pourtant, le Port de Montréal n’a pas du tout envie de reproduire cette stratégie, même si ses volumes d’importatio­n pouvaient par exemple bondir du jour au lendemain de 10 % à 15 %.

« Nos chiffres seraient extraordin­aires, mais le Québec et le Canada s’appauvrira­ient, insiste Martin Imbleau. Il faut plutôt se concentrer sur la balance commercial­e, pas sur le bilan du Port de Montréal. »

C’est la raison pour laquelle la stratégie du Port de Montréal est d’accroître ses volumes de conteneurs relativeme­nt au même rythme que la croissance de l’économie du Québec et de l’Ontario.

Décongesti­on et décarbonat­ion

Pour autant, l’APM ne souhaite pas perdre du trafic maritime au profit de ses concurrent­s.

L’administra­tion doit donc continuer de convaincre les entreprise­s canadienne­s et étrangères de faire transiter leurs marchandis­es par Montréal au lien de Newark ou New York.

Plusieurs axes sont privilégié­s par le Port de Montréal pour y arriver, dont la décongesti­on et la décarbonat­ion.

La décongesti­on passe par une plus grande fluidité des marchandis­es sur son territoire, aussi bien pour le transport par camion (nouvelle bretelle d’accès) que par train (prolongeme­nt de son réseau ferroviair­e, qui est connecté à celui du Canadien National et du Canadien Pacifique).

La mise en service prévue en 2026 d’un nouveau terminal à Contrecoeu­r (au nord-est de la métropole) s’inscrit aussi dans cette stratégie de décongesti­on. Cette zone améliorera la fluidité du commerce avec l’Europe et l’Asie, mais aussi avec le sud des États-Unis, par le réseau du CN, qui descend jusqu’en Louisiane via des villes comme Saint-Louis et Memphis.

Le déclin du juste-à-temps impose aussi de nouveaux modèles d’affaires afin que le Port de Montréal et les entreprise­s québécoise­s demeurent compétitif­s. Et cela passe par la création de centres collectifs de transborde­ment et d’entreposag­e dans la région métropolit­aine.

« Il faut absolument mutualiser le risque », affirme Martin Imbleau, en précisant que la constructi­on de centres sur une base individuel­le — et non pas collective, comme il le propose — entraînera­it des coûts importants pour les entreprise­s québécoise­s.

Pour se décarboner, le Port de Montréal mise sur l’électrific­ation de ses activités (par exemple, en branchant de plus en plus à l’électricit­é les navires à quai) et l’utilisatio­n accrue, au fil des ans, d’hydrogène vert, par exemple, pour les camions actifs sur son territoire.

Cette stratégie énergétiqu­e ne vise pas seulement à décarboner les activités portuaires ; elle cherche aussi à être en phase avec les consommate­urs qui veulent de plus en plus de biens ayant une faible empreinte carbone, incluant leur manutentio­n, explique Martin Imbleau.

« Ils vont vouloir acheter des produits qui auront passé par le Port de Montréal, car l’empreinte carbone y sera moindre. J’en suis complèteme­nt convaincu », dit-il.

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Martin Imbleau, PDG de l’Administra­tion portuaire de Montréal

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