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La Russie résiste aux sanctions… pour l’instant

- François Normand

Zoom sur le monde

de 2022, le PIB russe s’est contracté de 4 %, selon l’agence fédérale Rosstat. Avant la divulgatio­n de ces statistiqu­es, des analystes sondés par Reuters tablaient plutôt sur une contractio­n de 7 %.

Les taux d’intérêt demeurent élevés, bien que la Banque de Russie ait réduit son taux directeur à plusieurs reprises pour le porter à 8 %, à la fin juillet. Ce niveau est même inférieur à celui qui prévalait avant l’invasion de l’Ukraine, le 24 février.

Dans les semaines qui ont suivi l’invasion, l’institutio­n l’avait porté jusqu’à 20 % (en plus d’imposer un strict contrôle des flux de capitaux) afin de soutenir le rouble sur les marchés monétaires.

Six mois plus tard, la devise russe a non seulement repris du poil de la bête, mais elle est maintenant beaucoup plus forte qu’avant l’agression de l’Ukraine par rapport au dollar américain et à l’euro.

L’inflation en Russie est également à la baisse. En juillet, elle s’est établie à 15,1 %, soit un léger recul comparativ­ement à 15,9 % en juin, selon Rosstat.

On est loin de l’effondreme­nt de l’économie russe qu’anticipaie­nt plusieurs analystes dans les semaines qui ont suivi l’attaque. On peut comprendre que ce scénario était plausible étant donné l’ampleur historique des sanctions

— qui ne cessent d’être renforcées depuis février.

La résilience de la Russie sous-estimée

Force est de constater que les Occidentau­x ont peut-être sous-estimé la résilience de la Russie, qui a accru son autonomie et diversifié ses marchés depuis l’annexion de la Crimée, en 2014. Une annexion qui s’est aussi traduite par un train de sanctions économique­s, toujours en place.

La Russie de Vladimir Poutine n’est pas sortie du bois pour autant.

Les plus récentes prévisions économique­s du Fonds monétaire internatio­nal (FMI) — publiées en juillet — anticipent que le PIB russe reculera de 6 % pour l’ensemble de 2022, puis de 3,5 % l’année prochaine.

Le pays est et restera donc en récession dans un avenir prévisible. Le commerce internatio­nal de la Russie est aussi bouleversé depuis six mois, à commencer par ses exportatio­ns de pétrole et de gaz naturel.

Alors que les pays européens ont réduit massivemen­t leurs importatio­ns d’hydrocarbu­res de la Russie, d’autres pays ont augmenté les leurs, dont l’Inde et la Chine — Beijing a aussi fourni certains biens militaires à la Russie, selon le magazine américain Foreign Policy.

Le commerce internatio­nal du Canada avec la Russie a aussi été déstabilis­é, selon les données de Statistiqu­e Canada pour les mois de février, mars, avril, mai et juin (le mois le plus récent).

En fait, les exportatio­ns canadienne­s se sont effondrées durant cette période comparativ­ement aux mêmes mois en 2021, avec des reculs mensuels oscillant de 83 % à 98 % !

Les importatio­ns ont également diminué, mais sans commune mesure par rapport aux exportatio­ns. Durant ces cinq mois, les diminution­s mensuelles oscillent de 18 % à 80 % comparativ­ement à la même période en 2021.

Les sanctions feront très mal à long terme

Certes, la Russie résiste à ce jour mieux que prévu aux sanctions.

En revanche, selon diverses analyses, son économie ne peut que pâtir à long terme de l’effet de ces mesures, et ce, du dynamisme de sa base industriel­le à sa capacité à innover en passant par un risque de sous-développem­ent technologi­que.

Par exemple, environ 1000 entreprise­s occidental­es — comptant pour 40 % du PIB russe — ont réduit leurs opérations dans le pays. Cette situation « paralyse » l’économie de la Russie, selon une récente étude publiée par des chercheurs du Chief Executive Leadership Institute de l’Université Yale

(Business Retreats and Sanctions Are Crippling the Russian Economy).

Le Financial Times de Londres estime qu’à terme, la plus grande répercussi­on sur l’économie russe pourrait être la perte des technologi­es et des composants occidentau­x.

Or, la Chine et d’autres pays « ami » de Moscou ne peuvent remplacer entièremen­t ces produits, dont la perte affecte déjà, en Russie, les entreprise­s manufactur­ières, les producteur­s de ressources naturelles et le complexe militaroin­dustriel.

Du reste, ce n’est pas la première fois que l’économie russe se retrouve dans cette situation.

Après l’invasion de l’Afghanista­n par l’exURSS, en 1979, des pays développés avaient aussi réduit leurs exportatio­ns de haute technologi­e à destinatio­n de l’économie soviétique, rappelle le

Financial Times.

« Celles-ci ont freiné la croissance soviétique et approfondi son retard technologi­que qui, combiné à la chute des prix de l’énergie, ont provoqué une crise profonde à la fin des années 1980. »

L’histoire se répéterat-elle quatre décennies plus tard ?

Bien malin qui peut le prédire. Chose certaine, plus le temps passera, moins la Russie aura la capacité de poursuivre une longue campagne militaire en Ukraine ou d’attaquer un autre pays en Europe de l’Est.

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