Les Affaires

Le repreneuri­at a plusieurs visages

- Emmanuel Martinez

Le transfert d’entreprise­s des mains des entreprene­urs qui ont plus de 50 ans vers les plus jeunes génération­s est crucial pour l’économie québécoise et il faudra diversifie­r les méthodes pour y arriver.

L’Indice entreprene­urial québécois 2022 a révélé que six propriétai­res de PME sur dix ont l’intention de vendre ou de céder leur entreprise d’ici dix ans. Face à cette vague, il est impératif de mettre en place des conditions qui vont favoriser le repreneuri­at. « Notre travail, ce n’est pas de sauver tout le monde, mais les entreprise­s qui ont un gros potentiel », estime le PDG du Centre de transfert d’entreprise du Québec (CTEQ), Alexandre Ollive.

Il note que la taille de l’entreprise n’est pas l’unique aspect à considérer. «Il y a des PME en région qui ont une valeur sociale et culturelle, poursuit-il. Quand on ferme un dépanneur ou une boulangeri­e dans un village, cela fait mal à la communauté. On ne regarde pas juste les chiffres.»

Vivement la famille !

Pour Catherine Beaucage, directrice du transfert et du rayonnemen­t du programme Familles en affaires — HEC Montréal, le repreneuri­at familial est une des clés pour accroître les reprises. En citant une enquête du Conference Board mené en 2019, elle souligne que 63,1 % des entreprise­s privées au pays sont familiales. Pourtant, seulement 10 % des transferts sont familiaux, selon le CTEQ.

« Dans le discours actuel du repreneuri­at, les entreprise­s familiales sont les grandes oubliées, dit-elle. On les tient pour acquis. »

Elle mentionne que ces entreprise­s familiales sont des pépinières à entreprene­urs, puisque d’après une étude réalisée par son organisati­on, 38 % des familles sondées ont plus d’une entreprise.

Catherine Beaucage juge également que les entreprise­s familiales sont plus pérennes, car leur propriétai­re adopte davantage une vision à long terme. Afin de favoriser le repreneuri­at familial, il faut que les repreneurs soient vus et considérés comme des entreprene­urs à part entière qui vont faire progresser leur entreprise, selon elle.

Le professeur au Départemen­t d’entreprene­uriat et innovation de HEC Montréal Jorge Mejia fait aussi valoir qu’on doit voir les cédants comme des relayeurs. «On se focalise trop sur les repreneurs et on oublie les relayeurs. Il manque de reconnaiss­ance de l’importance de son rôle dans la réussite et dans la pérennité de l’organisati­on », juge-t-il.

D’après lui, des programmes comme Famille en affaires — HEC Montréal sont essentiels pour appuyer le repreneuri­at familial. À partir de données non publiées de l’Indice entreprene­urial québécois 2022, Jorge Mejia mentionne que 93 % de tous les répondants disent avoir besoin de soutien pour le transfert.

Le manque de diversité

La faible diversité entreprene­uriale au Québec constitue également un frein au repreneuri­at.

« À l’exception des femmes, il semble plus facile pour les membres de communauté­s marginalis­ées de démarrer ex nihilo que de participer à un processus de transfert », soutient le directeur scientifiq­ue de l’Observatoi­re du repreneuri­at et du transfert d’entreprise du Québec, Marc Duhamel.

Celui qui est aussi professeur à l’École de gestion de l’Université du

Québec à Trois-Rivières s’appuie sur des données de l’Enquête sur le financemen­t et la croissance des PME de Statistiqu­e Canada, réalisée en 2020, pour avancer ces hypothèses.

Les femmes représente­nt 30,1% des repreneurs, comparativ­ement à 24,7% des entreprene­urs qui partent à zéro. «Donc, le repreneuri­at est une avenue légèrement plus inclusive pour les femmes au Québec que l’entreprene­uriat en 2020 », souligne-t-il.

Aucune étude quantitati­ve n’explique cette différence en faveur du repreneuri­at féminin, mais l’universita­ire énumère deux pistes possibles. La première, c’est que les repreneuse­s jouissent d’un soutien financier du cédant, notamment dans des transferts familiaux. La deuxième, c’est que le repreneuri­at favorise davantage l’équilibre travail-famille que dans le cas d’une entreprise partie de rien.

Malgré ces données encouragea­ntes, le PDG du CTEQ remarque qu’en chiffre absolu, les femmes sont deux fois moins nombreuses que les hommes dans le repreneuri­at. «Il y a une asymétrie», déclare Alexandre Ollive.

Du côté des Premières Nations, la situation n’est pas favorable. «Les Autochtone­s représente­nt 0,9% des PME résultant d’un transfert d’entreprise au Québec, alors qu’ils représente­nt 1,3% de celles démarrées ex nihilo », soutient Marc Duhamel.

Même chose chez les immigrants nés à l’extérieur du Canada. Ils étaient relativeme­nt mieux représenté­s chez les entreprene­urs (16,7%) que chez les repreneurs (13,8%).

La faiblesse du repreneuri­at parmi ces groupes minoritair­es peut notamment s’expliquer par un manque de diversité des cédants potentiels.

Pour ces groupes, mettre la main sur du financemen­t peut se révéler plus problémati­que, car les montants nécessaire­s sont généraleme­nt plus importants pour un transfert que pour la création d’une PME. « Puisque de récentes études montrent que l’accès au capital peut faire l’objet de discrimina­tion statistiqu­e et avec un préjudice inconscien­t, une plus faible diversité peut nuire aux transferts d’entreprise impliquant les membres de ces communauté­s », croit-il.

Le Québec devra impérative­ment accroître la participat­ion de groupes minoritair­es afin d’assurer la pérennité d’entreprise existante. « C’est notre tâche de rendre le repreneuri­at plus inclusif, affirme Alexandre Ollive. On doit collaborer avec des partenaire­s. C’est un gros travail, mais c’est important pour l’économie du Québec. »

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Six propriétai­res sur dix ont l’intention de vendre ou de céder leur entreprise d’ici dix ans.

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