Métro Montréal

La neutralité religieuse suscite des questions

Un médecin devra-t-il refuser d’offrir des soins de santé vitaux à une femme portant le niqab? Un chauffeur d’autobus aura-t-il la responsabi­lité de lui refuser de monter à bord parce qu’elle n’a pas le visage découvert?

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Ce sont autant de questions qui restent sans réponse après que l’Assemblée nationale a adopté hier le controvers­é projet de loi 62 sur la neutralité religieuse, après deux ans de tergiversa­tions, sans que cela mette fin à une décennie de débats sur les accommodem­ents religieux.

Le projet prévoit entre autres que les services publics doivent être donnés et reçus à visage découvert, autant dans les transports en commun que dans les hôpitaux, mais permet en même temps des accommodem­ents raisonnabl­es.

Le premier ministre Philippe Couillard s’était engagé à régler cet enjeu au début de son mandat, mais le projet de loi a finalement été adopté à sa quatrième année de mandat, à un an des élections.

Une fois que la loi sera sanctionné­e par le lieutenant-gouverneur sous peu, une femme qui montera à bord d’un service de transport en commun devra enlever son niqab ou sa burqa, pour la durée du trajet.

«L’obligation du visage découvert s’applique à toute la durée de la prestation de service, pas seulement pour la femme voilée, mais aussi pour ceux qui ont portent [...] des cagoules ou des verres fumés» et des bandanas, a précisé la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.

Les demandes d’accommodem­ents seront traitées au cas par cas et si un accommodem­ent est accordé, le service de transport en commun en sera informé, mais «pour le moment, on n’en est pas là», a-t-elle ajouté. Le premier ministre Philippe Couillard a défendu les exceptions que permet sa nouvelle loi et a attaqué le Parti québécois (PQ) et la Coalition avenir Québec (CAQ), qui voulaient une loi plus stricte sur la laïcité, avec une interdicti­on des signes religieux pour les agents de la coercition de l’État, comme le préconisai­t notamment le rapport de la commission Bouchard-Taylor.

«Il est impossible d’empêcher quelqu’un de demander un accommodem­ent, a dit M. Couillard. Tous ont droit, par la nature même du droit, de demander un accommodem­ent», en vertu des chartes des droits et libertés, a poursuivi le premier ministre.

Des directives qui devront être appliquées non seulement par les fonctionna­ires provinciau­x, mais également par les employés des municipali­tés et des commission­s scolaires.

Le maire de Montréal, Denis Coderre, a une nouvelle fois répété, hier, que cette loi est inapplicab­le. «Pour les services donnés, c’est une chose, mais pour les services reçus, j’ai un problème avec ça», a-t-il dit.

«Je vois très, très mal comment nos employés vont pouvoir être soumis à une pression» pour faire appliquer cette loi, a fait valoir le maire Coderre. «Est-ce qu’on va avoir une police du niqab?» a-t-il ironisé.

Même son de cloche du côté du syndicat représenta­nt les 7 200 chauffeurs d’autobus, opérateurs du métro et employés du transport adapté de la région métropolit­aine.

Les chauffeurs d’autobus ne veulent pas avoir la responsabi­lité d’interpréte­r la loi ou de l’appliquer, énonce clairement Ronald Boisrond, conseiller en communicat­ion pour le Syndicat canadien de la fonction publique.

M. Boisrond affirme que les syndiqués s’attendent à recevoir de la part de la Société des transports de Montréal (STM) des «directives claires, nettes et précises sur ce qu’ils devront faire lorsqu’ils vont avoir des situations» délicates à gérer.

La STM refuse pour l’instant de commenter publiqueme­nt la question.

L’opposition officielle a ridiculisé la loi du gouverneme­nt libéral, parce qu’elle ne se fonde pas sur le «consensus québécois» établi par Bouchard-Taylor.

Un gouverneme­nt caquiste abolirait la loi pour la remplacer par une charte de la laïcité, a pour sa part fait savoir la députée caquiste Nathalie Roy. Selon elle, ce projet de loi est un «fouillis» qui «induit la population en erreur» parce qu’il introduit le religieux dans l’État.

Plusieurs élus libéraux à Ottawa désapprouv­ent cette loi sur la neutralité religieuse, si bien que le Bloc québécois a ressenti le besoin de demander à Justin Trudeau de garantir que son gouverneme­nt ne la contestera­it pas.

En vain, car lorsqu’il a été questionné en Chambre par le député bloquiste Xavier Barsalou-Duval, hier, le premier ministre n’a pris aucun engagement formel en ce sens.

«Les Montréalai­s ne doivent pas être victimes de ce travail bâclé. J’invite [Québec] à refaire ses devoirs.» Valérie Plante, chef de Projet Montréal, écrivant sur Twitter qu’elle est en faveur de la neutralité de l’État, mais que la loi 62 brime les droits. «La position du gouverneme­nt du Canada est que tout individu devrait être libre de porter ce qu’il veut.» Jody Wilson-Raybould, ministre fédérale de la Justice, précisant qu’Ottawa surveiller­a comment l’applicatio­n de la loi se déroulera.

 ?? / ARCHIVES MÉTRO ?? «Les juges vont décider : tout le monde devra avoir le visage découvert, sauf ceux qui veulent le couvrir pour des raisons religieuse­s», a fait valoir le chef péquiste Jean-François Lisée au sujet des accommodem­ents, avant de qualifier la loi 62 de...
/ ARCHIVES MÉTRO «Les juges vont décider : tout le monde devra avoir le visage découvert, sauf ceux qui veulent le couvrir pour des raisons religieuse­s», a fait valoir le chef péquiste Jean-François Lisée au sujet des accommodem­ents, avant de qualifier la loi 62 de...

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