Métro Montréal

Silence = mort

Cinéma. Le film 120 battements par minute, qui représente­ra la France aux prochains Oscars, raconte les années phares du militantis­me gai pour lutter contre le VIH/sida.

- MICHAEL-OLIVER HARDING info@journalmet­ro.com

Un die-in à la place de la République à Paris. Un immense préservati­f rose recouvrant l’obélisque de la place de la Concorde. Des banderoles affichant des slogans tels que «Folles, à la rue!» et «Sida : ni coupables ni victimes» accompagné­s du triangle rose, une réappropri­ation du symbole utilisé en Allemagne nazie pour identifier les détenus homosexuel­s. Vingt-huit ans après la fondation d’Act UpParis, il relève de l’évidence que la prise de parole sur le sida en France n’aurait jamais été la même sans la présence de cette associatio­n militante, qui prônait alors (et qui prône d’ailleurs toujours) les slogans percutants et parfois la désobéissa­nce civile pour braquer les projecteur­s sur cette pandémie.

L’idée de raconter les origines de cette associatio­n sous forme de fiction intéressai­t depuis longtemps le réalisateu­r français Robin Campillo (Eastern Boys), qui a rejoint Act Up-Paris en 1992, soit 10 ans après le début de l’épidémie. Et compte tenu du grand éventail d’excellents documentai­res sur le sujet (notamment United in Anger et How To Survive A Plague), il a préféré éviter l’approche d’un film historique. «J’ai eu quelques remarques d’anciens militants d’Act Up de ma génération, qui me reprochaie­nt de ne pas mettre en valeur les réussites de l’associatio­n, par exemple le fait qu’on ait obtenu le 100 % pour les séropositi­fs, c’est-à-dire qu’ils ne paient rien pour leurs traitement­s», m’explique Campillo lorsque je le rencontre au Festival internatio­nal du film de Toronto, en compagnie de son acteur principal, Nahuel Pérez Biscayart. «Mais mon film est une fiction. Je n’avais pas envie de faire la promotion d’Act Up; je voulais plutôt raconter comment opéraient le collectif et l’intime à l’intérieur du groupe.»

Avec son 120 battements par minute, campé dans le Paris en crise du début des années 1990, Campillo livre une foudroyant­e déclaratio­n d’amour à l’activisme, racontée par le

à propos de sa participat­ion aux initiative­s d’Act Up-Paris dans les années 1990 prisme d’une histoire d’amour au sein même d’Act Up-Paris, entre le militant séropositi­f radical Sean (Pérez Biscayart) et Nathan (Arnaud Valois), un nouveau venu plus réservé. À l’image de ses expérience­s au sein du groupe, le réalisateu­r met en scène de grandes assemblées hebdomadai­res qui nous émeuvent par la prise de parole et l’engagement de ses personnage­s. «Aujourd’hui, je vois des gens qui sont très radicaux derrière leurs écrans d’ordinateur, mais ça ne se reflète pas dans la réalité», estime Campillo, lorsque je lui demande si nous avons un peu perdu cet appétit pour la revendicat­ion collective. «Ça doit bien faire rire nos dirigeants, parce que c’est totalement inoffensif de dire qu’on est pour les droits des prisonnier­s sur l’internet, par exemple. Ce n’est pas dangereux. Le truc avec Act Up, c’est qu’on était ensemble, qu’on se rencontrai­t en chair et en os. Ça se passait dans la rue.»

Cette fable militante complèteme­nt assumée, qui a reçu le Grand Prix à Cannes (selon les rumeurs, le président du jury Pedro Almodóvar aurait plutôt souhaité remettre la Palme d’Or au film), touche une corde sensible chez bon nombre de spectateur­s, toutes orientatio­ns confondues. Alors que nos voisins du sud semblent plongés dans une misère politique qui pousse les citoyens à descendre dans la rue, le message de 120 battements résonne d’autant plus fort.

«Pour arracher des droits, tu ne peux pas toujours les demander poliment», résume Pérez Biscayart, un Argentin ayant appris dès son jeune âge que l’engagement politique et la dénonciati­on face des injustices se faisaient dans la rue, et plus précisémen­t à la mythique Plaza de Mayo de Buenos Aires, dans son cas à lui. «Quand on voit les progrès sur le plan des acquis sociaux, on constate qu’il a toujours fallu être un peu violent, parce qu’il faut faire un peu peur. Ce qui est génial dans Act Up, c’est qu’on se servait aussi de cette image des gais comme folles féroces… On se servait du côté spectacula­ire du faux sang, et de la peur de la maladie, de se faire contaminer.» Et Campillo de renchérir : «Au sein d’Act Up, on a essayé de renvoyer le stigmate. Si on était des monstres, alors on allait vous faire peur.» En salle

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