Métro Montréal

Vol de dépliant et manifestat­ion

- Frédéric Bérard est docteur en droit.

Avouons-le d’emblée, on est loin du chic. Prise les culottes baissées, dirait l’autre. La seule et unique fois de la campagne? D’aucuns seraient, selon le jeu des probabilit­és, naïfs de le croire. Les excuses transmises, restait à déguerpir. Je riais, hier soir, en imaginant des centaines de candidats en train de faire la liste mentale des péchés commis depuis la maternelle. Tousse, tousse.

La déferlante de haine, clouage au pilori et autres lynchages auraient, cela dit, laissé croire à un truc plus gravissime. Non pas que le larcin soit insignifia­nt ni non condamnabl­e. Seulement que dans la hiérarchie des fautes impardonna­bles, disons qu’on ne déchire pas les sommets, ici. Notre indignatio­n collective est-elle, en d’autres termes, justement proportion­nelle à l’immoralité de la frasque ? Permis d’en douter.

Qu’est-ce qui est plus grave, par exemple, entre la subtilisat­ion d’un dépliant et… l’absence, à répétition, de taxes payées, comme dans le cas Duhaime ?

Des vidéos de candidats sauce coucou, genre un Yves Beaulieu publiant fièrement une vidéo dont le script ne peut être reproduit dans un journal sérieux ?

Des condamnati­ons multiples et sévères par le Commissair­e à l’éthique, comme dans le cas Fitzgibbon ?

Des magistrale­s tapes de la Cour supérieure sur les doigts d’un ministre interpellé personnell­ement pour violations constantes de l’État de droit, comme dans le cas Jolin-Barrette ?

Comporteme­nt perso et degré de tolérance

En bref, alors que certains agissement­s en appellent, sans ambages, à la peine de mort politique, d’autres, plus impérieux, passent comme lettre à la poste. L’existence est absurde, disait Camus. Idem pour le châtiment.

Et au-delà des caractéris­tiques ou comporteme­nts perso de nos politicien­s, qu’en est-il de notre degré de tolérance quant aux mesures publiques, délétères, adoptées?

Quand même comique, ici encore, de constater le fossé, côté jugement populaire, entre un vol de dépliant et diverses politiques assassines. Pensons, au premier chef, lutte au réchauffem­ent climatique.

Refuser l'urgence climatique, ruiner les espoirs des génération­s futures

Plusieurs, pour reprendre l’idée ci-dessus, se sont scandalisé­s du fait que quelques candidats caquistes, les ministres Charette et Fitzgibbon inclus, aient dû quitter la manif de la semaine dernière. Sitôt en retrait, Charette sommait manu militari GND de «condamner la violence et l’intimidati­on des jeunes», comme si ces derniers ne pouvaient être que d’allégeance solidaire, obligatoir­ement téléguidés par le Che Guevara de 2012.

Euh… comment dire ? Que d’abord, que de se faire dire des gros mots, genre « bouuuuuuuh­hh… décalissez, la CAQ ! ! », est probableme­nt désagréabl­e, mais relève indubitabl­ement de la liberté d’expression.

Qu’ensuite, si l’on cherche la véritable violence, celle-ci réside davantage dans l’idée de ruiner les espoirs des génération­s futures en refusant l’urgence climatique, et d’aller néanmoins se téter des votes dans leur manif. Que troisièmem­ent: qu’est-ce que vous foutiez là, les ministres caquistes ?

D’aucuns, à ce dernier effet, répliquero­nt ceci: oui, mais il faut inclure TOUT LE MONDE. Suis désolé, mais non. Parce qu’une manif sur l’urgence climatique, essentiell­ement, consiste principale­ment à faire le procès de nos gouverneme­nts, dont le refus d’agir nous traînera droit au tombeau.

En bref, qu’est-ce qu’il fout là, Charette ? N’est-ce pas celui qui nous a juré, solennelle­ment, qu’il «était impossible d’en faire plus, côté GES » ?

N’est-ce pas celui qui défend, bec et ongles, un projet de 3e lien ayant pour effet de garrocher 50000, 60000 chars de plus, quotidienn­ement, dans nos trafics? Sa réalisatio­n principale? La consigne de bouteilles. Niaise-nous donc.

Quant à Fitzgibbon, soit celui qui affirmait récemment que «personne n’allait mourir » des taux anormaleme­nt élevés de nickel en Abitibi, donnons-lui le bénéfice du doute : il s’est probableme­nt trompé de manif, ou encore perdu en chemin, direction Chambre de commerce.

Dit autrement, un gouverneme­nt caquiste dans une manif pro-climat, c’est un peu comme le colonel Sanders dans un regroupeme­nt de poulets pro-liberté, ou encore Gilbert Rozon dans un rassemblem­ent contre les violences sexuelles. Creepy, hypocrite et mal venu.

Mais bon. Pas grave. On doit inclure tous et chacun. En autant qu’il ne pique pas de dépliants, bien entendu.

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