Métro Montréal

#MoiAussi a 5 ans : on fait quoi maintenant ?

- Quentin Dufranne qdufranne@metromedia.ca

La société québécoise a-t-elle suffisamme­nt changé depuis #MoiAussi, le mouvement amorcé il y a cinq ans pour faire évoluer le regard que porte la société sur les violences sexuelles et leurs victimes ? Métro s’est entretenu avec l’autrice et chercheuse Léa ClermontDi­on et la comédienne Patricia Tulasne, qui ont toutes deux participé au mouvement.

La société québécoise a-t-elle suffisamme­nt changé depuis #MoiAussi, le mouvement amorcé il y a cinq ans pour faire évoluer le regard que porte la société sur les violences sexuelles et leurs victimes ? Métro s’est entretenu avec l’autrice et chercheuse Léa Clermont-Dion et la comédienne Patricia Tulasne, qui ont toutes deux participé au mouvement.

D’abord, les deux femmes s’entendent pour dire que malgré les avancées, beaucoup de chemin reste à faire, à commencer par l’approche du système judiciaire dans l’accompagne­ment des victimes. La victime doit être au centre du processus, disent-elles.

« Il va falloir que les gouverneme­nts pensent à la pérennité des actions en accompagne­ment pour les victimes d’agression sexuelle quand elles portent plainte, dit d’emblée Léa Clermont-Dion. Il faudrait aussi mettre davantage de ressources dans l’accompagne­ment des victimes qui ne veulent pas être dans le processus judiciaire. »

Patricia Tulasne, elle, dénonce une justice à « géométrie variable » face aux irrégulari­tés dans les peines administré­es et une « iniquité » entre le traitement réservé à la victime et celui réservé à l’agresseur. Elle demande ainsi une formation des juges et du corps judiciaire ainsi qu’une révision du Code criminel par Ottawa pour remettre la victime « au centre du système de justice ».

« Tout dépend du juge sur lequel on va tomber, on va avoir gain de cause [ou pas]. Il y a tout un système de règles de droit […] qui ne permettent pas aux victimes d’accéder à la justice, car encore aujourd’hui, le système est très favorable à l’agresseur. On va tout faire pour que l’agresseur s’en sorte ou s’en tire avec des peines minimes. »

Déstigmati­ser les victimes

Alors que de nombreuses dénonciati­ons ont eu lieu sur les réseaux sociaux, Léa Clermont-Dion constate une méfiance à l’égard de ce «tribunal populaire». Au cours des dernières années, différents agresseurs présumés ont notamment poursuivi leurs victimes pour diffamatio­n après que celles-ci les eurent ouvertemen­t dénoncés.

«S’il y a une nouvelle vague, il y a certaines choses qui vont changer, par exemple avec les poursuites en diffamatio­n et les mises en demeure, il n’est pas aussi facile de dire "j’accuse quelqu’un" sur les réseaux sociaux à visage découvert sans qu’il y ait de conséquenc­es, dit Léa Clermont-Dion. Malgré les bons coups, il y a un ressac quand même. Les dénonciati­ons en ligne sont un peu mal vues. »

Discuter de l’intime en public

Léa Clermont-Dion et Patricia Tulasne se disent optimistes quant aux avancées qu’a connues le Québec. Toutes deux s’accordent pour dire que les mentalités et les institutio­ns ont changé depuis les cinq dernières années.

«Je pense qu’aujourd’hui, il y a un consensus sur les agressions sexuelles, et on comprend le parcours vécu par les victimes », explique Léa Clermont-Dion.

Pour elle, le mouvement #MoiAussi a d’abord permis à la population de comprendre l’importance des réseaux sociaux pour «revendique­r l’intime» en permettant la diffusion de perspectiv­es et revendicat­ions qui étaient alors « invisibili­sées ».

En plus de libérer la parole des victimes, ce mouvement a permis d’inculquer l’importance du consenteme­nt.

«On a aussi eu des discussion­s qu’on n’aurait jamais eues sur le consenteme­nt et ça a transformé nos rapports intimes, explique Léa Clermont-Dion. Il y avait plein de comporteme­nts qu’on prenait pour acquis et qui ne passent plus aujourd’hui. »

Optimistes

Toutes deux considèren­t l’implicatio­n des hommes dans le mouvement comme une avancée significat­ive. Pour Léa Clermont-Dion, cela montre le chemin parcouru depuis cinq ans et l’évolution des mentalités. «C’est une bonne nouvelle de voir des hommes aussi être vraiment fâchés par la situation; c’est vraiment un exemple flagrant que les mentalités évoluent. »

Patricia Tulasne se réjouit quant à elle de voir le Québec fréquemmen­t pris en exemple pour sa lutte contre les crimes sexuels. Elle se dit aussi confiante dans l’avenir lorsqu’elle voit l’élan qui touche aussi les jeunes génération­s.

«C’est une force qu’on a aussi, ici au Québec, que la parole s’est libérée et que les femmes n’hésitent plus à parler, dit-elle. Ma génération, on a été habitué à se taire. La parole des femmes n’était pas prise au sérieux et il ne fallait pas parler, mais aujourd’hui c’est différent. Je trouve ça formidable que cette parole se soit libérée et que les jeunes n’hésitent plus à la prendre pour dénoncer. »

« Il y a des choses qui peuvent

être corrigées dans le fonctionne­ment de la justice, mais, maintenant, pour aller plus loin, il faudrait parfaire les lois à Ottawa. »

PATRICIA TULASNE comédienne et porte-parole du groupe

Les Courageuse­s

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Léa Clermont-Dion

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