Plus d’agresseurs parmi les humoristes ?
En 2017, alors qu’Hollywood est submergé par une vague de dénonciation de violences sexuelles sans précédent, ici, au Québec, c’est le milieu de l’humour qui est, le premier, frappé de plein fouet. Mais pourquoi ? Nos humoristes seraientils plus enclins à se muer en agresseurs? Métro a tenté d’y voir plus clair. «Si on a le sentiment que le milieu de l’humour a été particulièrement touché au Québec, c’est notamment parce que les dénonciations visant Gilbert Rozon [alors à la tête de Juste pour rire] ont mis en évidence à quel point il y avait de la tolérance pour ces comportements», rappelle Francine Descarries, professeure associée au Département de sociologie et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal.
Aux États-Unis comme ici, c’est d’ailleurs selon elle « le grand effet positif qu’a eu #MeToo, d’amener à rendre publics des comportements qui étaient jusque-là tolérés et tus par tout un milieu. »
Un « boys club » et des jokes
Pour Francine Descarries, même si les femmes ont fait leur place ces dernières décennies, l’humour est encore la chasse gardée des hommes.
« En tant que spectatrice, ce que je constate, c’est que les palmarès en humour sont éminemment masculins. Pendant longtemps, les femmes n’étaient pas les bienvenues dans ce milieu. Et comme dans tout milieu occupé par les hommes, celui de l’humour a pu être propice au développement d’une culture alpha et donc d’une certaine permissivité face aux comportements problématiques envers les femmes», soutient la sociologue. Ce sont d’ailleurs les hommes qui ont défini les codes de l’humour, souligne-t-elle. Parfois même au détriment des femmes, qui ont longtemps été l’objet de caricatures véhiculant des stéréotypes, comme l’illustrent les fameuses blagues de blondes.
Pouvoir et célébrité
«Dans le milieu artistique en général, il y a beaucoup d’asymétrie dans les relations de pouvoir. C’est un facteur de risque pour les agressions sexuelles», note Me Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop.
De plus, les artistes de scène que sont les humoristes vivent du regard des autres, souligne la psychologue Line Bernier, chargée de cours en psychocriminologie à l’Université de Montréal. «Ça peut entraîner une distorsion de l’image qu’on a de soi. On se sent supérieur et on se met à agir au-delà des interdits », explique-t-elle.
Difficile aussi de dénoncer une agression dans un milieu aussi peu structuré que celui de l’humour.
« C’est un écosystème dans lequel il y a plein de petites principautés. Il n’y a pas d’ordre professionnel, pas d’autorité suprême», décrit Christelle Paré, chercheuse indépendante, directrice pédagogique à l’École nationale de l’humour et professeure à l’Université d’Ottawa.
Problème réglé ?
Christelle Paré souligne que beaucoup de solutions ont déjà été proposées, et que plusieurs d’entre elles ont été mises en place. À l’École nationale de l’humour, une formation pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel est donnée et un comité chargé de recevoir les dévoilements a été créé.
Me Gagnon croit aussi qu’un changement de culture est en train de s’opérer dans les milieux artistiques. La réforme du statut des artistes adoptée par le gouvernement en juin dernier, qui permet aux victimes dans ce domaine d’emploi d’enfin porter plainte auprès de la CNESST, devrait d’ailleurs grandement améliorer les choses, selon elle.
«La culture dans le milieu de l'humour s'est modifiée, ajoute Francine Descarries. Mais c’est un très long processus qui va prendre encore beaucoup de temps. »