L’auto ancienne électrique sort du placard
Les véhicules électriques ne datent pas d’hier. Je l’ai appris en 1968, bien avant que des Nissan Leaf et des Tesla Modèle S sill onnent nos routes. Pendant que les grands all aient voir Valérie au cinéma et que les jeunes adultes s’émoustill aient à L’Osstidcho au Quat’Sous, le jeune garçon de 10 ans que j’étais s’émerveill ait devant Les Bell es d’autrefois, une exposition réunissant une cinquantaine de voitures anciennes au pavill on de la Grande-Bretagne, à Terre des Hommes.
À mes yeux, deux véhicules de ce musée improvisé ressortaient du lot : une Pope-Waverley 1905 et une Baker 1906. Contrairement aux autres ancêtres pétaradants présentés, ils avaient un moteur électrique alimenté par des batteries. Ils se déplaçaient même presque sans bruit ! Mais une question m’a longtemps titillé : pourquoi ces VÉ à l’allure étrange ont-ils disparu aussi soudainement que les dinosaures ?
Après tout, en 1910 aux États-Unis, 38 % des quelque 8 000 véhicules recensés étaient électriques. Quant aux autres, 40 % avaient un moteur à vapeur et 22 % seulement étaient mus par un moteur à essence. Mais, comme une météorite qui aurait frappé la terre, des innovations technologiques allaient changer la donne. Si bien qu’en 1912, les VÉ ne représentaient plus que 4 % des 500 000 véhicules immatriculés au sud de la frontière.
L’adoption par Ford de la production sur chaîne d’assemblage, en 1910, fut une cause de ce changement. Ce processus industriel a permis de réduire le prix de base (en dollars américains) du Modèle T biplace de 900 $ qu’il était cette année-là à 260 $ en 1925. Plusieurs grands constructeurs ont emboîté le pas à Ford, mais pas les spécialistes de VÉ. Destinés à l’élite, leurs produits sont donc restés coûteux. Les Baker fabriquées à Cleveland l’illustrent bien. En 1910, leurs prix s’étalaient de 850 $ à 3 500 $, avec un prix moyen de 2 140 $. En 1916, dernière année de production de la marque, les deux seuls modèles inscrits au catalogue coûtaient respectivement 2 475 $ et 3 000 $ !
L’invention d’un démarreur électrique pour les moteurs à essence a aussi contribué au déclin des VÉ. Adopté par Cadillac en 1912, l’usage de ce dispositif s’est généralisé dans l’industrie à juste titre. Il éliminait les risques de blessures au poignet et au bras associées à l’usage de l’incontournable manivelle, jusqu’alors essentielle pour faire démarrer le moteur d’un véhicule. Du coup, la sécurité et la simplicité d’utilisation associées aux VÉ, qualités prisées par la gent féminine, devenaient choses communes.
À cela s’ajoutent le développement de l’industrie pétrolière du Texas et la création d’un réseau routier continental. Avec de la gazoline peu coûteuse, le conducteur d’un Modèle T pouvait parcourir 250 km, puis, après avoir déniché un magasin général ou un « dépôt » , même en campagne, cinq minutes suffisaient pour faire le plein et poursuivre son périple. Une Baker électrique n’offrait pas autant de latitude. Avec un rayon d’action limité à 80 km et une recharge nécessitant de 10 à 12 heures, sa vocation citadine était incontournable, d’autant plus que les campagnes étaient peu électrifiées.
Mais les temps changent et de nouvelles technologies ont fait des VÉ les nouvelles coqueluches de l’industrie automobile, et ce, en quelques décennies à peine. Cette popularité renouvelée a redonné du lustre à ces ancêtres électriques qui m’ont fait rêver dans ma jeunesse. Cet engouement s’exprime par les prix dans les cinq et six chiffres qu’obtiennent les Baker, Rauch & Lang, Milburn, Columbia, Detroit Electric et autres du genre qu’on a vu s’envoler durant les dernières années dans les grandes ventes aux enchères organisées en Amérique, notamment celles de la prestigieuse société RM Sotheby’s de Blenheim, en Ontario. Voilà une belle façon pour ces VÉ anciens de sortir du placard !