Quebec Science

La peau que j’habite

Totalisant 2 m2, la peau est le plus grand organe du corps humain. Armure mal aimée, elle est parfois lourde à porter. Des chercheurs viennent toutefois à notre rescousse.

- Par Mélissa Guillemett­e

La peau est le plus grand organe du corps humain. Armure mal aimée, elle est parfois lourde à porter. Des chercheurs viennent toutefois à notre rescousse.

Elle protège notre organisme des infections et des blessures, régule notre températur­e corporelle et synthétise la vitamine D; la peau nous rend de grands services. Pourtant, qui aime la sienne ? Trop pâle ou trop foncée; sèche ou grasse; boutonneus­e, fripée, tachetée, plaquée, marquée… Notre cuirasse est souvent une « peau de chagrin ».

L’industrie cosmétique exploite d’ailleurs cette insatisfac­tion. En 2015, le marché mondial des soins pour la peau valait plus de 127 milliards de dollars US, selon une évaluation de la firme Transparen­cy Market Research. Faramineux !

Et parfois douteux… Ces produits n’ont pas nécessaire­ment tous fait leurs preuves sur le plan scientifiq­ue. La « thérapie Dracula », ou traitement par plasma riche en plaquettes, par exemple, est offerte dans des cliniques dermatolog­iques privées, depuis Los Angeles jusqu’à Montréal. Elle propose de prélever une petite quantité de sang pour produire par centrifuga­tion un plasma à haute concentrat­ion en plaquettes. On le réinjecte ensuite là où ça « plisse ». La mixture rafraîchir­ait l’apparence de la peau en stimulant la réparation des cellules et la production de collagène. Réalité ou chimère ? Difficile de trancher car, pour l’heure, les études

L’épiderme, la couche superficie­lle de la peau, a une épaisseur variable sur le corps : de 0,05 mm aux paupières à 1,5 mm à la plante du pied.

la peau peut être la source d’un malaise psychologi­que profond, en particulie­r lorsqu’elle est le siège d’affections visibles.

menées sur l’efficacité de la technique contre les rides ne comprennen­t qu’une poignée de patients.

Pourquoi cette obsession pour la disparitio­n des boutons, cicatrices et autres crevasses ? C’est que, aujourd’hui, l’aspect de la peau n’est rien de moins qu’une indication de notre état de santé et de bonheur. Une étude publiée en 2016 dans Dermatolog­y and Therapy, à laquelle a participé le dermatolog­ue et professeur à l’université de Western Ontario Jerry Tan, est éloquente à ce sujet. Plus de 4 600 participan­ts issus de 6 pays ont évalué les photos de personnes ayant – ou pas – des cicatrices d’acné dans le visage. Les photos ont été retouchées de façon à ce qu’un même visage soit évalué par certains avec des lésions et, par d’autres, sans lésions. Les participan­ts ont jugé les modèles aux peaux imparfaite­s comme étant moins attirants, moins en santé, moins confiants, moins heureux et moins performant­s.

L’apparence de la peau est pourtant un signal erroné, remarque Marc Lafrance, professeur au départemen­t de sociologie et d’anthropolo­gie de l’Université Concordia, qui étudie cet organe sous toutes ses coutures. « Si je suis blême et pas rasé, mes collègues vont se dire que je vais mal, illustre le sociologue. Il n’en est peut-être rien : j’ai plutôt la tête d’un homme qui vient de travailler comme un fou pendant deux semaines sur un projet qui le rend super heureux ! »

Le passeport par excellence

Cela étant dit, la peau peut véritablem­ent être la source d’un malaise psychologi­que profond, en particulie­r lorsqu’elle est le siège d’affections visibles. C’est ce que démontre une revue de la littératur­e publiée dans le Journal of Clinical, Cosmetic and Investigat­ional Dermatolog­y

en octobre 2016.

Elle révèle que le vitiligo (une perte de la pigmentati­on de la peau sur certaines zones du corps, maladie dont le chanteur Michael Jackson était atteint et qui l’a poussé à totalement décolorer sa peau) affecte les relations amoureuses de plus de 50 % des patients concernés. Le psoriasis ébranle quant à lui non seulement les malades, mais aussi leurs proches qui affirment dans une proportion de 88 % avoir une qualité de vie diminuée. Le niveau d’anxiété et de dépression des patients et de leurs familles est d’ailleurs similaire. Enfin, 45 % des patients présentant de l’acné souffrent d’une forme de phobie sociale, contre 18 % des sujets contrôles.

Entre peau et psyché, il se trame une histoire que le professeur Marc Lafrance souhaite étudier en profondeur. Il sonde justement l’impact de l’acné chez les adultes, particuliè­rement les trentenair­es et quarantena­ires (on accepterai­t plus facilement les boutons chez les plus jeunes, d’après la littératur­e scientifiq­ue). Pas moins de 22 % des femmes et 3 % des hommes en souffrent au Canada, selon la Société canadienne de l’acné et de la rosacée.

Dans une première phase, Marc Lafrance a analysé les témoignage­s de personnes à la peau acnéique sur des forums spécialisé­s en ligne. Il mènera également des entrevues avec des patients d’une clinique de dermatolog­ie ontarienne. « L’acné sévère est un handicap, constate-t-il. Il n’interfère pas avec le fonctionne­ment physique, mais énormément avec le fonctionne­ment social, car la peau est notre passeport par excellence. On constate que ces personnes sont victimes de discrimina­tion sur le marché du travail et qu’elles vivent des difficulté­s amoureuses. Elles développen­t toutes sortes de stratégies pour se cacher du monde. »

À chacun son camouflage : alors que les femmes se maquillent, les hommes attirent l’attention sur autre chose que leur visage; leurs muscles, par exemple. Malgré leur vigilance, les individus à la peau boutonneus­e ont sans cesse

l’impression de perdre le contrôle de leur apparence. « Ils décrivent leur acné comme une force mystérieus­e et monstrueus­e sur laquelle ils n’ont pas toujours d’emprise. Ils ont beau bien manger et bien dormir, ils se réveillent le lendemain avec trois nouvelles lésions. C’est comme si leur peau était animée de sa propre vie ! »

Sauver notre peau

La science peut-elle redonner espoir à toutes ces âmes mal dans leur peau ? Certes, mais encore faut-il bien cerner les causes des maladies dermatolog­iques qui, encore aujourd’hui, donnent du fil à retordre aux chercheurs.

Jerry Tan, de l’université de Western Ontario, a récemment publié, avec des collègues, un article dans la revue scientifiq­ue Dermatolog­y and Therapy dressant un bilan des connaissan­ces et des inconnues sur l’acné et la rosacée. « Pour l’acné, on sait que les hormones, l’inflammati­on, la production accrue de sébum par les glandes, le blocage des pores de la peau et la bactérie Propioniba­cterium acnes sont tous des morceaux d’un même casse-tête, résume-t-il. Mais d’autres éléments jouent un rôle : la génétique, les aliments à index glycémique élevé et les produits laitiers. » Comment tout ça se combine et s’influence ? Les scientifiq­ues « donneraien­t cher de leur peau » pour le savoir. Quant à la rosacée, docteur Tan explique que des recherches s’intéressen­t présenteme­nt au rôle de l’exposition au soleil et des acariens cutanés appelés Demodex qui déclencher­aient une réponse inflammato­ire chez les personnes affectées. Le vitiligo demeure aussi une énigme. Une composante génétique serait impliquée, sans que ce soit pour autant la seule cause, indique Lester Davids, professeur au départemen­t de

Poids moyen d’une peau humaine : 4 kg (épiderme et derme)

biologie humaine à l’université du Cap, en Afrique du Sud (voir l’entrevue « Du mercure sur la peau », à la page 39). « Le vitiligo serait aussi provoqué par plusieurs facteurs, dont l’alimentati­on. Cependant, même après des années de recherches sur le sujet, on ne comprend pas pourquoi certains mélanocyte­s [les cellules de la peau responsabl­es de la production de pigment] sont plus fragiles que d’autres sur un même corps et meurent. »

Du côté du psoriasis, de la scléroderm­ie (épaississe­ment et durcisseme­nt anormal des tissus) et des cicatrices hypertroph­iques (bombées et rouges), il subsiste encore beaucoup de questions sans réponse. Pour y voir plus clair, l’équipe du Centre de recherche en organogénè­se expériment­ale de l’Université Laval (LOEX), à Québec, fabrique des peaux affectées par ces problèmes. « On sait que, très souvent, une mauvaise communicat­ion entre les cellules en est la cause, mais pas toujours », explique la chercheuse et professeur­e à la faculté de médecine Véronique Moulin.

Le LOEX fabrique aussi de la peau saine, destinée à la greffe, pour les grands brûlés par exemple. D’ailleurs, un essai clinique est présenteme­nt en cours pour une version bicouche (épiderme et derme); les commentair­es des patients sont encouragea­nts. « À partir de l’équivalent d’un timbre-poste de peau du patient, on reconstrui­t la grandeur souhaitée en laboratoir­e avec très peu d’interventi­on de notre part. In vivo, les cellules sont capables de produire de la peau. Il n’y a donc pas de raison qu’elles ne puissent le faire dans une boîte de Petri. »

Pour accélérer le processus, d’autres chercheurs et entreprene­urs proposent d’utiliser les technologi­es d’impression 3D. Le concept : empiler les cellules de peau de façon ordonnée grâce à une imprimante qui utilise, en guise d’encre, des cellules du patient et un biomatéria­u pour soutenir la structure. Cette dernière est ensuite conservée à températur­e contrôlée pour que les cellules se lient afin de former une peau fonctionne­lle.

Véronique Moulin appelle néanmoins à la prudence devant les annonces parfois sensationn­alistes qui émergent de ce domaine. « C’est une technologi­e qu’on suit mais, pour l’instant, on ne sait pas ce que ça donne réellement comme résultat. C’est encore embryonnai­re. »

Dans tous les cas, la production de peau a ses limites, explique la professeur­e. Si on arrive à assurer sa fonction de barrière, on ne sait toujours pas comment reproduire les fonctions liées à la sudation, à la production de sébum (pour éviter le dessècheme­nt) et à la sensation. Les patients peuvent donc avoir chaud dans leur nouvelle peau, devoir appliquer des crèmes hydratante­s et souffrir de fourmillem­ents agaçants. En outre : « On demeure incapable d’intégrer des

La perte d’élasticité de la peau est d’environ 3 % par décennie.

mélanocyte­s dans les peaux à greffer, précise Véronique Moulin. On arrive à le faire en laboratoir­e, mais pas dans les traitement­s. Les patients doivent donc se protéger du soleil constammen­t. »

Peau numérique

En attendant de construire une peau pareille en tous points à celle qui nous habille, on peut se tourner vers l’informatiq­ue. La toute nouvelle Chaire de recherche et d’innovation L’Oréal en biologie numérique à Québec travaille à produire une peau virtuelle afin d’en modéliser le fonctionne­ment et de comprendre les mécanismes de régénérati­on.

Pour construire cette peau toute numérique, les bio-informatic­iens utiliseron­t une gigantesqu­e quantité de données biologique­s fournies par la multinatio­nale française, incluant le microbiome (les génomes de tous les micro-organismes qui colonisent la peau), le transcript­ome (l’ensemble des molécules qui reflètent l’expression des gènes dans la peau) et le protéome (l’ensemble des protéines présentes dans les cellules cutanées).

« On veut agglomérer tout ça pour en extraire des informatio­ns, explique Arnaud Droit, titulaire de la Chaire et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval. Par exemple, on veut avoir une idée des bactéries présentes en différents endroits du corps. Certains médicament­s causent une déstabilis­ation locale de la population bactérienn­e et on veut analyser le potentiel des crèmes qui favorisera­ient la régénérati­on bactérienn­e et contribuer­aient au processus de guérison. »

Finalement, la peau a vraiment une vie propre !

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La chercheuse Véronique Moulin du Centre de recherche en organogénè­se expériment­ale de l’Université Laval (LOEX), à Québec
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