La science dans la rue
En réaction à l’élection de Donald Trump, des chercheurs manifesteront le 22 avril prochain pour défendre la science. Une initiative louable ou une fausse bonne idée ?
Par définition, la science est apolitique. Les chercheurs ne prennent jamais parti – sauf celui de la vérité, histoire de ne pas entacher leur crédibilité. Voilà pourquoi il existerait une ligne infranchissable entre la science et le militantisme.
Ce beau principe a volé en éclats le jour où Donald Trump a accédé à la Maison-Blanche. Indignés par les prises de position anti-science du milliardaire et son allergie aux faits les plus élémentaires, des savants ont troqué leur sarrau pour l’habit d’activiste. Campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, comités d’action politique, manifestations, lettres ouvertes : ils sont nombreux à se porter à la défense de la science. Le point culminant de cette mobilisation surviendra le 22 avril prochain, Jour de la Terre, lorsque des milliers de chercheurs participeront à la Marche pour la science à Washington et dans plus de 150 villes dans le monde.
Naomi Oreskes, historienne des sciences à l’université Harvard, voit l’initiative d’un bon oeil. Les chercheurs devraient être « les sentinelles des données scientifiques », a-t-elle plaidé lors du dernier congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences. « Nous vivons dans un monde où des gens tentent de réduire les faits au silence. Mais nous devons parler des faits parce que les faits ne peuvent parler pour eux-mêmes », a-t-elle dit.
Évidemment, la Marche pour la science ne plaît pas à tous. Des chercheurs craignent que les manifestants ne prêchent qu’à des convertis, prêtant le flanc à la critique en étant perçus comme un groupe d’intérêt, ou des partisans de la gauche.
Difficile de leur en vouloir. La prise de parole n’est jamais sans risque. Surtout à une époque où la science est instrumentalisée à des fins idéologiques. Parlez-en aux climatologues et aux évolutionnistes…
Ces inquiétudes ne sont pas vraiment justifiées, nous indique une récente étude de l’université George Mason au cours de laquelle 1 235 participants ont évalué 6 publications Facebook d’un climatologue fictif. Son premier message contenait uniquement des données factuelles, alors que les suivants versaient peu à peu dans l’opinion. Les participants ont certes remarqué le ton de plus en plus militant du chercheur au fil des publications, mais ils ne l’ont pas trouvé moins crédible pour autant. La recherche a aussi démontré que les opinions de ce climatologue n’ont pas terni la confiance des participants à l’égard de l’ensemble des chercheurs s’intéressant aux changements climatiques.
Bien sûr, il ne s’agit que d’une seule étude, mais elle suggère que le public serait plus « confortable » de nd voir les scientifiques s’engager pour une cause que ne le seraient ces derniers eux-mêmes. Cela explique sans doute pourquoi d’éminents chercheurs ont pris position au cours de l’histoire sans voir leur étoile pâlir. Albert Einstein est l’exemple le plus souvent cité. Même si on lui a conseillé de se taire, il n’a pas hésité à condamner le nazisme.
Calomniée pour avoir dénoncé l’utilisation des pesticides au début des années 1960, la biologiste américaine Rachel Carson a tenu bon, convaincue de la validité de ses données. Avec raison : son cri du coeur a contribué à la création de l’Agence de protection de l’environnement (celle-là même que l’administration Trump s’apprête à asphyxier par des compressions budgétaires draconiennes).
Plus près de nous, les chercheurs fédéraux canadiens ont ouvertement critiqué l’ancien gouvernement Harper pour son mépris envers la science et ses tentatives de musellement. Leur capital de confiance en a-t-il souffert ? Pas du tout !
Tirant des leçons de ce passé pas si lointain, l’historienne Naomi Oreskes a eu ces mots pour les scientifiques craintifs : « La peur de perdre sa crédibilité n’est que ça : de la peur. »
Des mots durs, mais drôlement nécessaires en ces temps incertains.