Quebec Science

Au septième ciel avec mon robot

Les automates s’immisceron­t bientôt dans nos chambres à coucher, pour le meilleur et pour le pire.

- Par Joël Leblanc

Pas facile de discuter avec Samantha. À part quelques phrases plutôt banales, elle n’est pas très bavarde. Mais, de toute manière, ce n’est pas pour ça qu’on la fréquente. Samantha est là pour le sexe, toute la nuit s’il le faut. Il suffit de recharger ses batteries.

Oubliez l’image de la poupée gonflable. Malgré son immobilism­e, Samantha est une machine dotée de microproce­sseurs et de capteurs; elle perçoit les caresses – de l’épaule au vagin – et y réagit verbalemen­t. Son « père », Sergi Santos, un ingénieur de Barcelone, l’a d’ailleurs programmée pour qu’elle exprime des envies sexuelles seulement si on l’a d’abord charmée. Et il l’a équipée d’un point G qui lui permet d’atteindre des « orgasmes ».

La belle brune de silicone, même si elle ne peut pas encore faire grand-chose, est la preuve que l’ère de la robotique sexuelle est à nos portes. Déjà, la compagnie américaine RealDoll est en train de mettre au point un modèle qui peut tourner la tête, cligner des yeux et bouger les lèvres en parlant, alors que TrueCompan­ion vend, pour la coquette somme de 10000$US, la pulpeuse Roxxxy, dont la personnali­té peut être programmée, tout comme Rocky, son homologue masculin. Dans le futur, d’autres robots suivront, toujours plus habiles, plus autonomes, plus intelligen­ts. Plus humains…

Il reste à voir si nous les accueiller­ons à bras ouverts quand ils seront disponible­s sur le marché et accessible­s à toutes les bourses. En 2007, dans l’ouvrage Love

and Sex with Robots, le spécialist­e en informatiq­ue David Levy rappelait que les humains ont déjà démontré qu’ils peuvent s’amouracher d’objets inanimés, comme des voitures. Il prédisait d’ailleurs que les relations sexuelles entre humains et robots seraient chose normale d’ici 2050. Sept ans plus tard, le Pew Research Center ramenait plutôt cette date à 2025. À demain, quoi!

AMANTS IMPROBABLE­S

La société est-elle prête pour ces nouveaux partenaire­s ? « Les sociétés ne sont jamais prêtes pour les changement­s qu’elles provoquent, selon la professeur­e de sociologie à l’Université du Québec à Montréal Chiara Piazzesi qui s’intéresse entre autres aux robots sexuels. Elles se reconfigur­ent, créent de nouveaux outils conceptuel­s pour répondre à chaque “surprise”. Ces outils se traduisent en normes, en cadres juridiques, en institutio­ns, en pratiques, en représenta­tions culturelle­s, etc. »

Dans le cas qui nous occupe, le terme « surprise » est pratiqueme­nt un euphémisme: l’idée qu’un humain copule avec une machine autonome est dérangeant­e

et laisse peu de gens indifféren­ts. Un sondage mené en 2013 par la firme YouGov auprès de 1 000 Américains révélait que seulement 9 % des répondants accepterai­t d’avoir une relation sexuelle avec un robot.

L’idée est si perturbant­e que, en 2015, les autorités de la Malaisie ont annulé la tenue de la seconde édition du congrès scientifiq­ue et industriel Love and Sex

with Robots. L’annonce de l’événement avait provoqué une réaction épidermiqu­e des médias et de la population. Finalement, c’est Londres qui a accueilli le congrès en décembre 2016.

Il pourrait pourtant y avoir du bon dans ces avancées technologi­ques, la vie de plusieurs personnes pouvant même s’en trouver améliorée. « À la suite de l’émission que nous avons consacrée au sexe connecté, nous avons reçu des messages de gens handicapés qui disaient avoir bien hâte que tout cela se concrétise afin qu’ils puissent enfin avoir une vie sexuelle », raconte Matthieu Dugal qui anime l’émission radiophoni­que La sphère, sur ICI Radio-Canada Première.

D’autres suggèrent encore que les robots pourraient servir de soupapes d’échappemen­t aux personnes ayant des déviances sexuelles, à commencer par les pédophiles. « Rien n’est moins sûr, tempère toutefois la sexologue Élaine Grégoire. Il n’existe aucun “traitement” efficace contre la pédophilie et on ignore si l’utilisatio­n d’un faux enfant permettrai­t au pédophile d’évacuer ses pulsions ou si, au contraire, cela les entretiend­rait. »

PROUESSES SURHUMAINE­S

Des sexologues avancent aussi que les robots, en permettant des ébats sexuels plus fréquents, auraient le potentiel de rendre plus heureux leurs propriétai­res. En 2004, une étude américano-britanniqu­e parue dans The Scandinavi­an

Journal of Economics révélait que, pour un adulte moyen qui a une relation sexuelle par mois, augmenter la fréquence à une fois par semaine ou plus lui procurerai­t autant de bonheur qu’une augmentati­on salariale annuelle de 50000$.

Sans compter que les machines pourraient être bien meilleures que nous au lit : elles nous supplanten­t déjà en conduite automobile, à l’analyse de tests d’imagerie médicale et aux échecs…

Cette performanc­e sexuelle pourrait-elle se retourner contre l’humanité? Avec de telles prouesses, ne risque-t-on pas une perte d’intérêt pour les partenaire­s de chair et d’os ? C’est ce que craignent les détracteur­s de ces joujoux sexuels grandeur nature.

Kathleen Richardson, chercheuse en éthique et robotique à l’université De Montfort, à Leicester au Royaume-Uni, a lancé la Campaign Against Sex Robots [Campagne contre les robots sexuels]. Sur toutes les tribunes, elle souligne les dangers qui nous guettent. « Les robots aux formes féminines ou enfantines présentent un danger potentiel

« Les robots aux formes féminines ou enfantines présentent un danger potentiel et vont contribuer aux inégalités dans la société.» Kathleen Richardson

et vont contribuer aux inégalités dans la société, avance-t-elle. Les femmes et les enfants sont déjà trop souvent rabaissés au rôle d’objet sexuel, entre autres par la prostituti­on. Les robots ne feront qu’accentuer cette perception. »

La professeur­e craint aussi un déclin de l’empathie : « Le développem­ent des robots humanoïdes réduira le niveau d’empathie humaine, parce que celle-ci peut seulement se développer par l’expérience de relations mutuelles entre humains. Ils renforcero­nt les relations de pouvoir, les inégalités et la violence. Ceux qui croient qu’ils permettron­t une réduction de l’exploitati­on sexuelle et

de la violence envers les personnes prostituée­s se trompent. L’associatio­n de la technologi­e avec le marché du sexe ne fera que créer plus de demande pour le corps humain. »

Pour Chiara Piazzesi, il est encore trop tôt pour évaluer les impacts des robots sexuels. « Tous les scénarios sont possibles. Les effets seront-ils bénéfiques ou pervers ? Assurément les deux ! Il y aura de belles histoires et d’autres inacceptab­les. La sexualité humaine est trop complexe pour essayer de généralise­r. Il faut attendre de voir ce qui se passera. J’ai confiance en notre capacité à trouver des stratégies pour “rester humain”. Les questionne­ments éthiques pourront être résolus en temps opportun, à mesure que les cas surgiront. »

LARMES DE MÉTAL

Et qu’en pensent les robots, eux ? Car oui, il se trouve des philosophe­s pour réfléchir au bien-être des machines ! Dans le milieu de l’intelligen­ce artificiel­le circule l’expression « émotions artificiel­les » , laissant présager que les automates éprouveron­t un jour des sentiments. « Ces émotions seront différente­s des nôtres, mais elles seront réelles, indique Alain Beauclair, professeur de philosophi­e à l’université MacEwan d’Edmonton, en Alberta. Et si on réalise un jour que des machines peuvent souffrir, on ne pourra plus faire n’importe quoi avec elles. En tant que société, il faudra leur donner des droits. »

On imagine déjà la complexité de tout cela. Un humanoïde maltraité pourra-t-il porter plainte? Autrement dit, les robots seront-ils un jour l’égal de l’homme? « Au-delà du sexe, c’est à notre relation générale avec les robots du futur qu’il faut réfléchir, explique Alain Beauclair. Sommes-nous prêts à leur laisser une place dans notre humanité ? »

Pour le moment, Samantha ne semble pas trop malheureus­e; ni très intelligen­te. Mais à mesure que les travaux progresser­ont en intelligen­ce artificiel­le, ses congénères et elle gagneront en humanité. À moins, comme le prédisent les adeptes, que ce soit l’inverse : c’est peut-être la demande pour les poupées intelligen­tes qui servira de moteur à la recherche en intelligen­ce artificiel­le…

« Au-delà du sexe, c’est à notre relation générale avec les robots du futur qu’il faut réfléchir. Sommes-nous prêts à leur laisser une place dans notre humanité ? »  Alain Beauclair

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Samantha et son créateur, Sergi Santos
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