Lire l’avenir de bébé dans ses gènes
Voudriez-vous connaître le risque couru par votre poupon de souffrir d’un cancer du sein ou d'une maladie cardiaque?
Àl’heure qu’il est, je suis énorme. Bébé est sur le point de pointer son nez. Dans les heures qui suivront sa naissance, ma sage-femme prélèvera du sang à son frêle talon pour qu’il soit analysé dans le cadre du programme québécois de dépistage néonatal qui permet de détecter cinq maladies congénitales, graves et traitables. Au bout de trois semaines, c’est un échantillon d’urine que nous enverrons sur du papier buvard vers le laboratoire désigné pour dépister une quinzaine d’autres maladies métaboliques rares. Mais est-ce assez d’information pour assurer un avenir en santé à la prunelle de mes yeux?
Récemment, je me suis retrouvée à clavarder avec un représentant de Baby Genes, une jeune entreprise basée au Colorado. Pour 330$US, il peut m’envoyer une trousse pour prélever un échantillon de cinq gouttes de sang de mon enfant après sa naissance, à condition qu’un médecin donne son accord pour la requête. C’est à lui que seraient envoyés les résultats du survol de 92 gènes, à la recherche de 3100 mutations différentes impliquées dans 71 maladies, principalement métaboliques, mais aussi diverses anémies et neuropathies génétiques. Je peux aussi choisir de recevoir toute information sur d’autres mutations repérées par hasard au fil de l’analyse.
Ainsi, quelques jours après avoir accouché, épuisée par les nuits blanches, je pourrais déjà savoir que mon enfant est plus à risque de développer la maladie de Pompe, un trouble neuromusculaire qui peut apparaître à l’enfance ou à l’âge adulte. Bien qu’inquiétants, ces résultats n’en demeurent pas moins très incertains. En effet, si le programme québécois repère les maladies qui affectent déjà la biochimie de l’organisme, le séquençage proposé par Baby Genes, lui, identifierait les régions de l’ADN contenant des erreurs qui
pourraient provoquer des maladies. Et ce n’est rien, car Baby Genes ne s’intéresse qu’à 92 gènes sur un total d’environ 21000. Dans les faits, les technologies permettent déjà d’établir la séquence de l’entièreté d’un génome et d’y repérer toutes les failles. La technique est d’ailleurs déjà utilisée pour diagnostiquer des maladies rarissimes chez des enfants (voir l’encadré « En finir avec “l’odyssée diagnostique” », à la page 24).
Dès lors, la question se pose : devrait-on remplacer le programme de dépistage actuel par le séquençage d’un groupe de gènes déterminés, voire même de tout le génome des bébés à la naissance?
Après tout, le coût du survol d’un génome entier ne cesse de baisser, bien qu’il demeure au moins 10 à 100 fois supérieur à celui de n’importe quel programme de dépistage néonatal. Un leader dans le marché des séquenceurs, Illumina, parle d’une machine qui fera le boulot pour 100$ d’ici 3 à 10 ans. Dire que le séquençage du premier génome humain – achevé en 2003 – a coûté 3 milliards de dollars US !
Depuis plusieurs mois, les nouveaux parents à la maternité de deux hôpitaux de Boston sont interpellés pour participer à un essai clinique qui évalue la pertinence de séquencer les gènes de leurs petits. L’équipe recherche des mutations pathogènes ou susceptibles de l’être dans un « panel » d’un peu plus de 1000 gènes bien connus et liés à des maladies monogéniques, soit des affections dues à une anomalie dans un seul gène. Les spécialistes identifient aussi des variants associés à des réponses particulières à certains médicaments, ce qu’on appelle des données « pharmacogénétiques ».
La moitié des bébés seront soumis à ce séquençage, en plus du dépistage classique au talon; et l’autre moitié, au test traditionnel seulement, explique Robert C. Green, l’un des deux directeurs de l’étude BabySeq, avec Alan H. Beggs. Il rappelle que cette méthode soulève des questions éthiques importantes pour lesquelles il y a encore bien peu de réponses. « Si on utilisait le séquençage pour des millions de bébés, leur ferions-nous plus de mal que de bien? Comment les praticiens utiliseront-ils ces informations? Influenceront-elles le lien affectif entre les parents et l’enfant? Nous voulons étudier tout ça avant que son usage se répande dans la société. »
La bioéthicienne et professeure à la faculté de médecine de l’Université McGill Bartha Knoppers suit attentivement ces travaux. Elle adore les enfants – comme en témoigne sa porte de bureau entièrement couverte de photos des bébés de l’équipe du Centre de génomique et de politiques qu’elle dirige – et pense qu’il faut s’assurer d’agir dans leur intérêt. « C’est l’avenir; les avancées dans le séquençage de génomes individuels concernent surtout les nouveau-nés. La technologie est déjà présente dans les unités de soins intensifs néonataux pour des enfants malades, et c’est fantastique. Le problème serait de l’utiliser pour le dépistage chez tous les nouveau-nés. Pourquoi ? Parce qu’on ne comprend pas les trois quarts de ce qu’on voit dans un génome. C’est indéchiffrable ! »
En effet, tout le monde porte en soi des centaines de mutations génétiques. Lesquelles causeront vraiment des maladies ou des troubles ? C’est ce qu’on appelle la « pénétrance ».
« La technologie est déjà présente dans les unités de soins intensifs néonataux pour des enfants malades, et c’est fantastique. Le problème serait de l’utiliser pour le dépistage chez tous les nouveau-nés. » – Bartha Knoppers
On la sait élevée pour le gène BRCA2, associé à un risque accru de cancer du sein et de l’ovaire, et elle atteint même 100% pour la fibrose kystique. Mais pour de nombreuses autres mutations, on l’ignore toujours.
C’est ce flou qui a poussé Bartha Knoppers et des collègues à critiquer l’offre de Baby Genes dans un article d’opinion publié dans JAMA Pediatrics en 2016. « Le panel de Baby Genes inclut des maladies (telles que les maladies de Pompe, de Krabbe et de Fabry) qui ont été évaluées par des organisations professionnelles ou des agences de la santé et dont le dépistage n’est pas présentement recommandé en raison de taux élevés de faux positifs, de la variabilité de l’apparition des maladies, du manque de traitement et des difficultés en matière de conseil », écrivent-ils.
Le généticien Robert C. Green abonde dans le même sens: « La vérité, c’est que, lorsqu’une mutation est détectée, à part pour de rares cas, il est très difficile de déterminer le risque que les individus développent la maladie au cours de leur vie. Est-il de 10%? De 20%? De 70%? »
Avec des collègues, il a mené récemment un autre essai clinique qui confirme ses doutes. Les résultats préliminaires sont percutants : en scannant plus de 4 000 gènes chez 100 adultes, les chercheurs ont découvert que 18 % des participants portaient une mutation pathogène liée à une maladie monogénique sans éprouver le moindre symptôme!
DES MUTATIONS ANODINES
« La biologie humaine est pas mal plus compliquée qu’on l’imagine, remarque François Rousseau, directeur du département de biologie médicale du Centre hospitalier universitaire de Québec et professeur à l’Université Laval. On voudrait que ce soit “un gène égale une maladie”. Mais la réalité, c’est qu’on a 21 000 gènes et que, pour chaque mutation, il y a probablement des centaines de gènes qui interagissent. Des gènes modificateurs qui annuleront ou compenseront l’effet de la mutation… L’environnement joue aussi un rôle important. On est loin de tout comprendre. De plus, si on ouvrait les vannes pour tous les bébés, on ferait sauter le système de santé, avec tous les suivis qui seraient requis ! »
C’est d’autant plus vrai pour les maladies communes, comme le diabète de type 2, la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, certains cancers ou la maladie coronarienne, qui peuvent être favorisées par des bogues génétiques, mais qui dépendent aussi de nombreux autres facteurs.
Il serait d’ailleurs peu pertinent de scanner tous les individus à la naissance pour évaluer leurs risques de développer ce type de maladies, si l’on en croit une étude américaine publiée en 2012 qui a comparé les données génétiques de plus de 53 000 jumeaux identiques. L’équipe de Bert Vogelstein, professeur d’oncologie à l’université de médecine Johns Hopkins, a ainsi constaté que l’analyse des gènes ne peut vraiment prédire les risques de développer 24 maladies courantes, dont celles mentionnées plus haut. Un individu qui ne serait pas prédisposé à la majorité de ces 24 affections courrait tout de même un risque variant entre 50 % et 80% de souffrir un jour d’une de ces maladies, comparativement au reste de la population, apprend-on dans l’article publié dans Science Translational Medicine. Mutation ou non, tout le monde court donc plus ou moins les mêmes risques.
En plus d’être difficiles à interpréter, les tests de génomique