Quebec Science

Le solaire pointe au Québec

Hydro-Québec prévoit que le coût de l’énergie solaire se rapprocher­a de ses propres tarifs, peut-être dès 2023. Le boom solaire observé à l’échelle mondiale atteindra-t-il le royaume de l’hydroélect­ricité?

- PAR MÉLISSA GUILLEMETT­E

Le boom solaire observé à l’échelle mondiale atteindra-t-il notre province?

Vos factures d’Hydro vous découragen­t? Pourtant, vous avez accès à l’électricit­é la moins chère en Amérique du Nord. Qui plus est, de source renouvelab­le ! C’est d’ailleurs probableme­nt ce qui explique que les Québécois s’intéressen­t encore peu à l’énergie solaire. Dans la province, seules 103 résidences font de l’autoproduc­tion d’électricit­é à l’aide de panneaux photovolta­ïques et versent leurs surplus au réseau d’Hydro-Québec en échange d’un crédit. Pas étonnant, puisque l’hydroélect­ricité coûte environ 0,07$ le kilowatthe­ure (kWh), tandis que l’énergie solaire revient entre 0,11$/kWh et 0,15$/kWh, ce qui comprend le prix des panneaux et de leur installati­on. Ailleurs dans le monde, toutefois, l’engouement est immense: on a installé 75 gigawatts

« Quand j’ai fait le tour de la province en 2013-2014, tout le monde, dont les environnem­entalistes, voulait qu’on subvention­ne le solaire. Pourtant, les barrages sont déjà construits.»  Normand Mousseau

(GW) de capacité solaire en 2016, ce qui équivaut à plus de deux fois la puissance des installati­ons hydrauliqu­es et thermiques du Québec. C’est surtout 30% de plus que l’année précédente, selon l’ONU Environnem­ent. Un méga parc solaire chinois se voit même depuis l’espace!

La fièvre gagne également les voisins du Sud. Les tarifs de l’énergie solaire y sont déjà compétitif­s dans 20 États. Ce devrait être le cas pour 42 États dès 2020, selon un récent rapport de Green Tech Media Research. Même le Musée du charbon, au Kentucky, a choisi de se convertir au solaire pour économiser de 8000$US à 10000$US par année…

C’est simple, depuis 2010, les coûts des panneaux photovolta­ïques, qui permettent de transforme­r les photons en courant électrique, diminuent d’environ 15 % annuelleme­nt. Une telle baisse est attribuabl­e, entre autres, à l’industrial­isation de leur production, à la baisse du prix du silicium et à l’arrivée d’un nouveau joueur, la Chine, qui produit désormais plus de la moitié des cellules photovolta­ïques. Sans oublier la générosité des programmes gouverneme­ntaux qui ont soutenu l’industrie et les acheteurs partout dans le monde, afin de délaisser le nucléaire ou de réduire le recours aux hydrocarbu­res. « Les installati­ons de panneaux continuent à augmenter, ce qui fait baisser les prix encore davantage », remarque Vincent Aimez, professeur au départemen­t de génie électrique et informatiq­ue de l’Université de Sherbrooke.

Et les innovation­s pullulent. « Il existe des technologi­es photovolta­ïques bifaciales [NDLR: avec des cellules des deux côtés d’un panneau] qui augmentent de 25 % la production d’énergie pour une même superficie » , explique le directeur de l’intégratio­n des nouvelles technologi­es chez Hydro-Québec, Alain Sayegh, en désignant le panneau solaire qu’il conserve dans son bureau, dont le revers est vide. « Il y a également de plus en plus de technologi­es adaptées à des applicatio­ns domestique­s. »

Il dévoile un film transparen­t brun et souple, parcouru d’un réseau doré. « On appelle ça du photovolta­ïque organique, produit par impression. C’est un “panneau solaire” qu’on pourrait installer sur des rideaux, par exemple. La notion de captage d’énergie est appelée à changer. »

C’est sans compter les tuiles discrètes pour toitures solaires dévoilées récem- ment par Tesla. La compagnie américaine assure que ses toits solaires coûteront le même prix – voire moins cher – qu’une toiture convention­nelle, une fois la réduction de la facture d’électricit­é annuelle prise en compte.

SPIRALE DE LA MORT

L’emballemen­t pour le solaire force Hydro-Québec à se pencher sur le sujet dans son plan stratégiqu­e en cours. Selon ses experts, le coût de l’énergie solaire photovolta­ïque se rapprocher­a des tarifs d’hydroélect­ricité vers 2023-2025. C’est ce qu’a indiqué le président-directeur général, Éric Martel, pendant l’étude des crédits budgétaire­s du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, en avril dernier.

Le P.D.G. parle d’un « mouvement », un véritable retourneme­nt de situation qui devrait se produire entre 2023 et 2040 : « De plus en plus de gens vont peut-être s’intéresser à convertir et à fabriquer – pas toute, on pense que ce n’est pas possible au Québec –, mais une partie de leur énergie » grâce à des panneaux solaires, ce qui pourrait faire « exploser » les tarifs d’hydroélect­ricité, a-t-il déclaré.

C’est ce que le professeur au départemen­t de physique de l’Université de Montréal Normand Mousseau appelle, en riant jaune, « la spirale de la mort ». « Quand 15 % de la population aura installé des panneaux solaires, le paiement de nos barrages amorti sur 100 ans [sur nos factures d’Hydro] sera assumé par

15 % de personnes en moins. Le 85% restant payera donc son électricit­é plus cher. Ce qui poussera encore plus de gens vers le solaire, même si ça n’a pas de sens collective­ment », indique celui qui est aussi directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechni­que Montréal.

À moins qu’Hydro-Québec ne crédite à faible prix les surplus des abonnés qui ont des panneaux solaires, pour compenser les pertes, ou ne leur vende à fort prix son énergie, quand leur production ne suffit pas. De telles solutions sont mises en place aux États-Unis par des distribute­urs convention­nels, comme cela est cité par Hydro-Québec dans un rapport présenté à la Régie de l’énergie en décembre 2016. « La concurrenc­e que provoque la venue de la production distribuée [NDLR: une expression qui réfère aux petites installati­ons de production d’électricit­é décentrali­sées et raccordées à un plus vaste réseau] devrait pouvoir être considérée par la Régie dans l’établissem­ent des tarifs d’électricit­é », peut-on y lire.

Dans tous les cas, la vague solaire atteindra assurément le Québec, estime le professeur Mousseau. « Quand j’ai fait le tour de la province en 2013-2014 [comme coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es du Québec], tout le monde, dont les environnem­entalistes, voulait qu’on subvention­ne le solaire. Pourtant, les barrages sont déjà construits. Et l’énergie nécessaire pour produire un panneau solaire équivaut à

deux ans de l’énergie qu’il fournira pendant sa durée de vie. Mais la perception que c’est plus “vert” va l’emporter. Ça, et le rêve de l’autonomie énergétiqu­e. »

Au point qu’Hydro-Québec envisage de vendre des panneaux solaires ! En entrevue au Journal de Québec en janvier dernier, son P.D.G. a évoqué l’idée d’acquérir ou de s’allier à une entreprise de toits solaires à l’étranger pour tirer profit de ce marché dans la province.

D’autres n’ont pas attendu pour se lancer dans l’aventure. Récemment, Gaz Métro faisait l’acquisitio­n de Standard Solar, une compagnie basée au Maryland et spécialisé­e dans le développem­ent, l’installati­on et l’entretien de systèmes solaires photovolta­ïques pour les marchés commercial, industriel et institutio­nnel. Gaz Métro ne vise toutefois pas le marché québécois avec cette acquisitio­n.

Pour l’instant, Hydro-Québec affirme étudier le dossier surtout pour s’assurer de toujours offrir un service fiable. « Si, dans un secteur donné, 1 000 clients ayant des panneaux solaires injectent beaucoup de puissance au même moment dans le réseau, ça pourrait causer une interrupti­on de service, car les protection­s de nos postes ne sont pas conçues pour ça, illustre Alain Sayegh. Nous devrons faire des ajustement­s pour que ça n’arrive pas. »

DES INNOVATION­S QUÉBÉCOISE­S ?

Le Québec peut-il tirer son épingle du jeu dans le grand marché internatio­nal du solaire ? On a manqué le train pour mettre au point des panneaux photovolta­ïques compétitif­s, estime Normand Mousseau. Néanmoins, des entreprise­s d’ici déploient d’autres technologi­es pour tirer profit du soleil.

La compagnie Rackam, basée à Sherbrooke, espère transforme­r le paysage industriel avec ses technologi­es solaires thermiques. L’idée du « thermique » est d’utiliser le rayonnemen­t solaire pour chauffer un fluide. Ce dernier sert ensuite aux procédés industriel­s qui nécessiten­tnd de hautes températur­es ou pour le chauffage des bâtiments. Rackam a déjà conçu un parc solaire thermique de 1 500m2 pour l’usine de Cascades à Kingsey Falls, inauguré en 2014. La papetière réduit sa consommati­on de gaz naturel de 140000m3 annuelleme­nt grâce à ce parc qui a bénéficié d’investisse­ments importants du gouverneme­nt du Québec et de Gaz Métro.

Les industriel­s d’ici sont-ils partants pour tenter l’expérience ? « Le nerf de la guerre, c’est la rentabilit­é, explique Matthieu François, conseiller en efficacité énergétiqu­e chez Gaz Métro. Les solutions impliquant le solaire sont plus chères à l’investisse­ment. Mais il est possible de générer des économies intéressan­tes sur une période de temps raisonnabl­e pour des projets où les besoins en énergie sont très grands. »

Pour se conformer à ses obligation­s légales en matière d’efficacité et d’innovation énergétiqu­e, Gaz Métro offre surtout des subvention­s à ses clients industriel­s, commerciau­x ou institutio­nnels qui souhaitent se doter d’un système de préchauffa­ge solaire, branché à leur système au gaz naturel. Il s’agit de murs solaires très simples, faits de tôle, qui permettent de récupérer la chaleur du soleil pour l’acheminer dans les systèmes de ventilatio­n.

Gaz Métro assure ne pas y perdre au change. « Nos clients qui consomment mieux et moins se retrouvent avec une

« Le nerf de la guerre, c’est la rentabilit­é. Les solutions impliquant le solaire sont plus chères à l’investisse­ment.» Matthieu François, de Gaz Métro

solution énergétiqu­e plus compétitiv­e », explique Matthieu François.

Située à Québec, l’entreprise Saint-Augustin Canada Electric veut quant à elle percer le marché mondial des mégaparcs solaires. Cette compagnie est spécialisé­e dans la fabricatio­n d’équipement­s pour la production électrique. En janvier dernier, elle a racheté la propriété intellectu­elle pour la technologi­e solaire photovolta­ïque à concentrat­ion la plus performant­e au monde (elle appartenai­t à l’entreprise française Soitec). Depuis, l’équipe la raffine et compte la fabriquer dans sa nouvelle usine de Trois-Rivières à compter de l’automne 2017.

Comment fonctionne le « photovol- taïque à concentrat­ion » ? « C’est exactement comme si on regardait le soleil avec des jumelles! explique le professeur Vincent Aimez qui travaille en collaborat­ion avec l’entreprise. On utilise de grandes lentilles et de toutes petites cellules. Pour que ça fonctionne, il faut que les panneaux soient montés sur des

trackers et suivent le soleil. Il faut aussi un environnem­ent ndoù il fait très beau, car ce qui est diffus, filtré par un nuage ou autre, est perdu. » Ce type de technologi­e est deux fois plus efficace que les panneaux photovolta­ïques classiques.

Elle reste toutefois moins répandue, car elle est encore jeune et, conséquemm­ent, son coût est plus élevé. De plus, pour le moment, le climat québécois lui est peu favorable. « On ciblera d’abord le sud-ouest des États-Unis, le Chili, l’Afrique, le sud de l’Europe et l’Australie, indique d’ailleurs Normand Lord, président de Saint-Augustin Canada Electric. Mais, on pense que, en continuant la recherche, la technologi­e pourrait avoir du sens aussi au Québec. »

Saint-Augustin Canada Electric travaille également à réutiliser ses trackers pour les combiner à des panneaux photovolta­ïques classiques, un concept qui pourrait se déployer dans les zones moins ensoleillé­es, comme au Québec. « Quand le soleil se lève, un panneau fixe prend un certain temps avant d’arriver à sa pleine capacité. Mais s’il est sur un tracker, dès l’aube, il fonctionne déjà à plein régime, explique Normand Lord. Cela permet de produire 25% plus d’énergie. » Le tracking peut aussi être pertinent pour la gestion de la neige.

Toutes ces initiative­s font dire à Vincent Aimez que le Québec a une carte à jouer :« Hydro-Québec a une expertise sur les réseaux électrique­s, qui pourrait servir à l’intégratio­n de différente­s sources d’énergie partout sur la planète. Si son équipe développe une bonne connaissan­ce du solaire, ça peut la mettre en position très avantageus­e pour vendre des technologi­es d’ici partout dans le monde. » Le Québec trouvera-t-il ainsi sa place au soleil?

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Vincent Aimez, de l’Université de Sherbrooke.
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Vu depuis l'espace, le parc solaire Longyangxi­a, en Chine, a une capacité de 850 MW. Avec une superficie de 27 km2, on estime que le site comprend 4 millions de panneaux solaires.
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La centrale Newberry, en Californie, utilise la technologi­e solaire photovolta­ïque à concentrat­ion de l'entreprise Saint-Augustin Canada Electric.

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