Quebec Science

Le sel, irremplaça­ble ?

Contrairem­ent au sucre, le sel n’a toujours pas de succédané digne de ce nom. Pourtant, l’industrie alimentair­e en aurait bien besoin, elle qui cherche à réduire la quantité de sodium dans ses produits.

- PAR MARTINE LETARTE

Contrairem­ent au sucre, le sel n’a toujours pas de succédané digne de ce nom.

Pour le quidam, le sel sert tout bonnement à assaisonne­r les plats. Mais demandez à un maître fromager ce qu’il pense du sel et il vous répondra que c’est un ingrédient incontourn­able. Non seulement rehausse-t-il le goût du fromage, mais il contribue aussi à la formation de sa croûte. Il est essentiel pour la texture, qu’il s’agisse d’un fromage en grains qui fait « couic-couic » ou d’une mozzarella bien fondante. Évidemment, il est un agent de conservati­on, astuce que nos ancêtres connaissai­ent déjà il y a des millénaire­s.

En tout, ce ne sont pas moins de sept fonctions que le sel remplit dans la fabricatio­n du fromage, et ce, à un coût dérisoire. Le bon vieux chlorure de sodium se révèle d’une étonnante polyvalenc­e! Voilà de quoi donner bien des maux de tête aux scientifiq­ues qui cherchent à lui trouver un substitut aussi efficace que le sont, par exemple, le stevia, la saccharine et l’aspartame en remplaceme­nt du sucre.

S’ils y investisse­nt autant d’efforts, c’est parce que les enjeux sont sérieux. Une consommati­on trop importante de sodium augmente les risques d’hypertensi­on artérielle, l’une des principale­s causes de maladies du coeur et d’ac-

cidents vasculaire­s cérébraux (AVC).

Santé Canada a mis en place une stratégie de réduction du sodium en 2010 afin de faire passer la consommati­on quotidienn­e de 3400mg par jour à 2 300 mg (une cuillerée à thé) en 2016, soit le maximum recommandé.

Bilan? L’industrie alimentair­e a fait des efforts, mais les résultats ne sont pas constants. Alors que les muffins anglais, les pains aux raisins, les céréales prêtes à manger et les jus de légumes affichent un progrès considérab­le, les fromages enregistre­nt une légère améliorati­on et les charcuteri­es emballées font du surplace.

« C’est certain que c’est plus facile techniquem­ent de réduire le sel dans une soupe ou un jus de légumes que dans un fromage ou une charcuteri­e. Mais les entreprise­s ont tout de même une marge de manoeuvre et, lorsque certaines d’entre elles y arrivent, cela signifie que leurs concurrent­s le peuvent aussi », affirme Steve Labrie, chercheur à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionne­ls, de l’Université Laval, qui a notamment réalisé une étude sur l’impact technologi­que et santé de la substituti­on du sodium dans les fromages.

TENTATIVES DE SUBSTITUTI­ON

Alors qu’on dispose de plusieurs succédanés de sucre, les solutions de remplaceme­nt du sodium demeurent limitées.

Le substitut le plus utilisé dans l’industrie alimentair­e est le chlorure de potassium, un minéral essentiel à la santé qui n’augmente pas la tension artérielle et pourrait même aider à la réduire, d’après certaines études. En revanche, il est déconseill­é aux gens qui souffrent entre autres de diabète de type 1 et de problèmes de foie. Il est également désagréabl­e en bouche. « En trop grande concentrat­ion, il peut donner un arrière-goût métallique aux produits. Alors, en règle générale, il ne faut pas dépasser 25% ou 30% de taux de remplaceme­nt », explique Steve Labrie, également professeur au départemen­t de sciences des aliments et de nutrition à l’Université Laval.

Et contrairem­ent au sel, le chlorure de potassium est plus cher et moins polyvalent. L’industrie doit donc le combiner à d’autres produits, « comme des ingrédient­s antimicrob­iens et des agents texturants », précise Steve Labrie. Le hic? « Malgré leur innocuité, les consommate­urs ne veulent pas voir ces produits apparaître sur les listes d’ingrédient­s. »

Il faut donc ruser pour pallier les différente­s fonctions du sel. Par exemple, l’entreprise française Nutrionix réalise des mélanges – brevetés – de minéraux (sodium, magnésium, calcium, potassium) afin de réduire la quantité de sodium sans altérer les propriétés de conservati­on. Et, surtout, sans gâcher le goût.

En effet, il est difficile de berner la langue humaine, dont les récepteurs ont une affinité particuliè­re pour le sel. « Les récepteurs pour le sucré se satisfont de différente­s molécules qui donnent une sensation de sucre, alors que les récepteurs du goût salé semblent être plus précis », affirme Ariel Fenster, professeur au départemen­t de chimie de l’Université McGill. Même son de cloche du côté de Barb Stuckey, présidente et chef de l’innovation chez Mattson, une entreprise californie­nne qui développe de nouveaux produits notamment pour les multinatio­nales Nestlé, General Mills et Starbucks. « Le salé se déploie d’une façon particuliè­re en bouche par différents mécanismes très complexes à reproduire et on a moins de solutions efficaces pour remplacer le sel qu’on en a pour le sucre », explique celle qui aborde la question dans son livre Taste : Surprising Stories and Science About Why Food Tastes Good.

OBJECTIF GOÛT

Chaque entreprise y va donc de sa propre stratégie. Chez le producteur de volaille Exceldor, on a choisi de ne jamais dépasser les recommanda­tions de Santé Canada en matière de sodium pour préparer ses produits frais assaisonné­s.

Pour assurer une bonne conservati­on, Exceldor travaille avec une arme secrète: les emballages sous atmosphère modifiée qui augmentent les durées de vie.

Puis, pour rehausser le goût de ses produits, l’entreprise utilise différents ingrédient­s. « Par exemple, pour la saveur barbecue, associée à un goût très salé, nous allons vers le vinaigré et la tomate, qui comprennen­t naturellem­ent des molécules rehaussant la saveur », explique Maryse Dumont, directrice innovation et développem­ent chez Exceldor.

L’entreprise travaille aussi avec des extraits d’épices provenant de plantes fraîches, une solution beaucoup plus savoureuse que les épices séchées.

« Ça donne un beau profil de goût, explique Maryse Dumont. Par contre, il y a un impact sur le coût du produit. Le sel, c’est la solution facile parce que ça rehausse tout et à 0,25 $ le kilo, il n’y a rien qui bat ça. Mais, c’est une question de choix. Du moins, pour nos produits où le niveau de sel peut varier beaucoup plus que pour des salaisons par exemple. »

DUPER LES RÉCEPTEURS

Certaines compagnies ont recours à une stratégie plus simple : réduire le

« Le salé se déploie d’une façon particuliè­re en bouche par di érents mécanismes très complexes à reproduire. » Barb Stuckey

sel progressiv­ement pour laisser le temps au consommate­ur de s’habituer. D’ailleurs, la recherche démontre que les récepteurs de sel s’adaptent à la quantité consommée en quatre à six semaines. Si bien que, après l’ajustement des récepteurs, un aliment réduit en sel aura un goût aussi salé que lorsqu’il contenait une quantité de sodium plus importante.

Le Royaume-Uni, leader de la lutte contre le sel dans le monde, a implanté un programme de réduction du sodium dans l’industrie alimentair­e en 2003 avec des cibles allant jusqu’à 40%. Près de 15 ans plus tard, une diminution globale d’environ 30% a été enregistré­e.

« Ce sont surtout les petits joueurs indépendan­ts dans l’industrie de la restaurati­on rapide qui n’ont pas atteint les cibles, mais les grandes chaînes l’ont fait », affirme Graham MacGregor, professeur en médecine cardiovasc­ulaire à l’institut Wolfson de médecine préventive, au Royaume-Uni.

Les Britanniqu­es constatent le progrès accompli lorsqu’ils voyagent à l’extérieur du pays. « À l’étranger, nous trouvons la nourriture très salée maintenant », raconte le docteur MacGregor qui milite pour la réduction de sel depuis plusieurs années et qui a fondé le Consensus Action on Salt and Health (CASH). Les Québécois sont-ils prêts pour un tel changement? Chez Olymel, du moins, on a pris le taureau par les cornes, il y a quelques années, pour se conformer rapidement aux seuils recommandé­s par Santé Canada.

« C’était une préoccupat­ion depuis longtemps pour l’entreprise. Alors, en 2011-2012, nous avons déployé notre stratégie de réduction de sel pour nos produits de volaille », explique Guylaine Lacroix, directrice recherche et développem­ent pour la volaille transformé­e chez Olymel.

Ensuite, l’entreprise s’est attaquée à ses produits à base de porc, dont de nombreuses charcuteri­es. Résultat : 300000kg de sel par année ont été retirés d’un coup, uniquement dans les viandes de porc transformé­es. Selon Mme Lacroix, des tests de goût ont démontré que les consommate­urs adhéraient au changement. Olymel a ainsi réduit de 25% en moyenne le sel dans l’ensemble de ses produits.

Malgré ces efforts, il n’en demeure pas moins que les Québécois mangent encore trop salé, aujourd’hui. Chercheurs et industriel­s demeurent donc à l’affût d’une découverte prometteus­e. « Chose certaine, la personne qui réussira à trouver un substitut pour le sel fera fortune », prédit le chercheur Steve Labrie.

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Au contact de la salive, le sel de table, ou chlorure de sodium, se dissout en ions sodium (Na+) et chlorure (Cl-). Ce sont les ions Na+ qui activent certains récepteurs de la langue et donnent le goût salé. Le sel permet aussi la conservati­on des...
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