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LA GRANDE BARRIÈRE DE CORAIL DÉPÉRIT

Pour une deuxième année consécutiv­e, le plus grand récif corallien du monde a souffert d’un important épisode de blanchisse­ment. Les scientifiq­ues sonnent l’alarme.

- Par Caroline Faucher

Les scientifiq­ues sonnent l’alarme.

La Grande Barrière de corail d’Australie n’est plus que l’ombre d’elle-même: autrefois vibrants de couleurs, de larges pans de ses récifs affichent désormais un blanc spectral. En moins de deux ans, les deux tiers de ce trésor naturel ont souffert d’épisodes de blanchisse­ment sans précédent, causés par une hausse des températur­es de l’eau.

En 2016, des scientifiq­ues annonçaien­t que le tiers nord de la Grande Barrière était sévèrement atteint; plus de la moitié des coraux y ont péri. Cette année, c’est la section touristiqu­e, située au centre, qui écope. « Depuis que nous étudions le récif, nous n’avons jamais observé de blanchisse­ment corallien à cette échelle », soutient le chercheur Neil Cantin de l’Institut australien de science marine.

La situation est grave, voire désespérée : en mars dernier, une quarantain­e de scientifiq­ues ayant constaté les dégâts dans la revue Nature, appelaient à une « action immédiate et globale » pour assurer la survie du récif, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Une telle dégradatio­n met non seulement en péril 400 espèces de coraux, mais aussi quelque 9 000 espèces marines, dont 1500 espèces de poissons qui trouvent refuge dans la barrière s’étirant sur plus de 2000km au large de l’État du Queensland. « L’écosystème au grand complet risque de s’altérer et la situation ne fera qu’empirer », redoute James Kerry, biologiste marin à l’ARC Centre for Excellence for Coral Reef Studies, de l’université australien­ne James Cook.

DES CORAUX AFFAMÉS

Contrairem­ent aux apparences, le corail est un animal qui forme des colonies de polypes. Ceux-ci fabriquent un squelette externe calcaire et se soudent les uns aux autres, édifiant ainsi les récifs. Pour obtenir les nutriments nécessaire­s à leur croissance, les coraux vivent en symbiose avec des algues photosynth­étiques, les zooxanthel­les, qui sont à l’origine de leur couleur.

Lorsque les coraux sont en situation de stress, notamment lorsque la températur­e de l’eau augmente, ils rejettent ces algues microscopi­ques. Conséquenc­e: ils blanchisse­nt et leur apport énergétiqu­e chute drastiquem­ent. Si les conditions reviennent rapidement à la normale, les algues repeuplent les coraux, mais le rétablisse­ment complet prend au moins une dizaine d’années. Lorsque les vagues de blanchisse­ment se succèdent, la rémission devient impossible.

C’est ce qui alarme la communauté scientifiq­ue qui a estimé en avril dernier qu’il n’y avait aucun espoir pour les récifs endommagés en 2016. Alors que la Grande Barrière de corail a subi un total de quatre épisodes de blanchisse­ment en 19 ans, soit en 1998, 2002, 2016 et 2017, les deux derniers sont de loin les plus sévères et les plus rapprochés.

« La façon dont le climat évoluera dans les dix prochaines années, ainsi que le nombre d’événements de stress engendrés par l’augmentati­on des températur­es, déterminer­a l’avenir de la Grande Barrière de corail et des autres récifs ailleurs dans le monde », explique Neil Cantin.

Le réchauffem­ent climatique n’est pas le seul coupable. La Grande Barrière fait les frais d’une forte pollution due aux activités agricoles et au ruissellem­ent des eaux côtières, dont les sédiments réduisent la limpidité de l’eau. Or, les rayons du soleil sont essentiels à la survie des zooxanthel­les. Les cyclones et l’invasion de l’étoile de mer Acanthaste­r, qui dévore les coraux, nuisent aussi à la régénérati­on des récifs australien­s.

COURSE CONTRE LA MONTRE

Pour sauver ce joyau, il faudrait réduire très rapidement les émissions de carbone et freiner le réchauffem­ent climatique. Malgré tout, rien ne garantit que les coraux se rétablisse­nt. « Limiter la hausse de températur­e des océans à un ou deux degrés, ce n’est pas une cible suffisante pour les coraux », croit Neil Cantin.

Voilà pourquoi des chercheurs ont entrepris une course contre la montre pour trouver la solution miracle. À l’Institut australien de science marine, une étude compte évaluer la résilience des différente­s espèces de coraux dans les eaux chaudes, en simulant les conditions environnem­entales futures. L’équipe tentera aussi de reproduire des coraux sur une période de quatre à cinq ans, afin d’identifier si les rejetons pourront s’adapter à une hausse des températur­es.

En avril dernier, des scientifiq­ues de l’Institut de science marine de Sydney ont même proposé de créer au-dessus de la région, par géoingénie­rie, de grands nuages réfléchiss­ant les rayons du soleil (grâce à des particules de sel), ce qui refroidira­it les eaux.

Les élus s’en mêlent également. Sous pression, le gouverneme­nt australien a mis en place, en 2015, le Reef 2050 Plan qui inclut, entre autres, des mesures de réduction des sédiments rejetés dans l es eaux par les industries locales. Un plan d’action jugé insuffisan­t par de nombreux chercheurs et environnem­entalistes, d’autant que le gouverneme­nt soutient parallèlem­ent un projet controvers­é de mine géante de charbon sur la côte du Queensland… Pourtant, il aurait tout intérêt à protéger la Grande Barrière de corail : plus de 2 millions de touristes y viennent chaque année, générant des milliards de dollars en retombées économique­s pour l’Australie.

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