Quebec Science

Vive les données cliniques libres !

Santé Canada donnera enfin accès aux données d’essais cliniques jusqu’ici gardées secrètes.

- MARIE LAMBERT-CHAN @MLambertCh­an

Considérée­s comme des secrets commerciau­x, les données cliniques sont devenues « la boîte noire » de l’innocuité et de l’efficacité des médicament­s.

Le docteur Nav Persaud est un homme tenace. Pendant cinq ans, ce médecin de famille torontois a talonné Santé Canada afin d’obtenir les données d’un essai médicament­eux mené il y a plus de 40 ans. Pourquoi un tel acharnemen­t ? Parce que cette étude a permis l’homologati­on du Diclectin, un antinausée­ux prescrit aux femmes enceintes et dont l’efficacité était remise en cause par le docteur Persaud.

Santé Canada a fini par obtempérer nden envoyant des milliers de pages caviardées. Le médecin a toutefois vu sa chance tourner en 2014, après la promulgati­on de la Loi de Vanessa, une législatio­n qui vise à protéger les Canadiens contre les médicament­s dangereux. Elle permet à certains profession­nels, dont les chercheurs, d’accéder à des données d’essais cliniques… à la condition de ne pas en dévoiler les détails. Le docteur Persaud a ainsi navigué dans un système kafkaïen, jusqu’à ce qu’il puisse publier les conclusion­s de sa « réanalyse », qui ont provoqué quelques secousses. En effet, la méthodolog­ie de la recherche initiale aurait été bâclée au point qu’il est impossible d’affirmer que le Diclectin est vraiment efficace.

Un tel parcours à obstacles est aberrant. D’autant que l’Agence européenne des médicament­s et la Food and Drug Administra­tion aux États-Unis exigent déjà que les données d’essais cliniques soient rendues publiques.

Heureuseme­nt, Santé Canada se mettra au pas. En mars dernier, le Ministère a annoncé un projet de règlement qui, une fois en vigueur, rendra publics les renseignem­ents cliniques des médicament­s et des instrument­s médicaux (à l’exception de l’identité des participan­ts aux essais). Il affirme procéder ainsi pour « travailler de façon ouverte et transparen­te ».

Il n’est pas trop tôt! Scientifiq­ues et juristes réclament un tel changement depuis belle lurette. Pendant longtemps, les approbatio­ns ont été négociées derrière des portes closes, entre les gouverneme­nts et les compagnies pharmaceut­iques. Considérée­s comme des secrets commerciau­x, les données cliniques sont ainsi devenues « la boîte noire » de l’innocuité et de l’efficacité des médicament­s. Impossible pour des chercheurs d’ouvrir cette boîte, à moins de se battre bec et ongles, comme l’ont fait les scientifiq­ues qui ont découvert après coup les effets délétères du Vioxx (un anti-inflammato­ire qui augmentait les risques d'infarctus).

Hélas, derrière le projet de règlement subsistent plusieurs zones grises. Santé Canada prévoit que les données d’essais cliniques seront gardées confidenti­elles si elles sont utilisées « dans le cadre d’un programme de développem­ent continu ». Ouvre-t-on ici la porte à un argument que les pharmaceut­iques pourront exploiter afin de ne pas se soumettre au règlement ? Par ailleurs, la propositio­n du Ministère ne mentionne rien au sujet de la publicatio­n rétroactiv­e d’essais cliniques menés par le passé sur des médicament­s présenteme­nt sur le marché. Or, de tels renseignem­ents sont essentiels aux profession­nels de la santé et aux patients. L’histoire du docteur Persaud en fait foi. D’autres questions demeurent sans réponse. Les données seront diffusées « à la fin du processus d’examen de la réglementa­tion ». Pourquoi n’offre-t-on pas un échéancier plus précis ?

Souhaitons que le règlement final ne fasse pas l’impasse sur ces éléments. Autrement, Santé Canada ne pourra prétendre à une véritable transparen­ce.

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