Quebec Science

Pas si fiables, ces empr eintes !

Uniques, les empreintes digitales ? La science ne l’a jamais prouvé, avertissen­t des chercheurs.

- Par Marine Corniou

Uniques, les empreintes digitales ? La science ne l’a jamais prouvé.

Dans toute série télé policière qui se respecte, les enquêteurs n’oublient jamais de relever les empreintes digitales sur les scènes de crime. Et pour cause, ces motifs sont uniques. C’est en tout cas ce qu’on répète partout. La probabilit­é que deux humains possèdent les mêmes empreintes serait de une sur 64 milliards à une sur 113 milliards, peut-on lire auprès de nombreuses sources fiables.

Vraiment ? « Les chiffres qui circulent à propos de la soi-disant unicité des empreintes sont en fait anecdotiqu­es et ne reposent sur aucune analyse scientifiq­ue rigoureuse. Les autorités policières nous ont fait croire que les “empreintes ne mentent pas”. C’est faux », s’insurge Anil Jain, du départemen­t d’informatiq­ue de la Michigan State University.

Il fait partie d’un quatuor de chercheurs de l’Associatio­n américaine pour l’avancement des sciences (AAAS), qui ont signé en octobre un rapport sur l’utilisatio­n en criminolog­ie des empreintes digitales « latentes », c’est-à-dire laissées involontai­rement sur des objets ou des surfaces. Leur conclusion : « La science ne peut pas prouver qu’une empreinte est unique », résume-t-il. Et on ne peut donc pas condamner quelqu’un hors de tout doute en se fiant à ce seul indice.

Cela ne surprend guère Alexandre Beaudoin, vice-président de l’Internatio­nal Associatio­n for Identifica­tion, le plus grand regroupeme­nt de profession­nels des sciences judiciaire­s. « Les empreintes digitales sont utilisées depuis plus de 100 ans. C’est vrai que le dogme a longtemps été de s’en servir pour identifier un suspect avec certitude. Aujourd’hui, l’analyse des empreintes est soumise à des processus rigoureux, du moins au Canada, où tous les policiers reçoivent la même formation standardis­ée. Les empreintes sont souvent utilisées, comme preuve circonstan­cielle très forte, mais plus comme preuve absolue », explique ce spécialist­e.

Aux États-Unis, la situation est différente. « L’argument selon lequel deux empreintes digitales concordent à 100 % est toujours utilisé en cour », déplore Anil Jain, rappelant que les erreurs sont rares, mais qu’il y en a.

C’est loin d’être la première fois que des scientifiq­ues américains tirent la sonnette d’alarme. En 2009, un rapport du Conseil national de la recherche des États-Unis concluait que la science judiciaire ne reposait pas sur des études rigoureuse­s, et qu’il était souvent impossible d’en valider les prémisses et les techniques. En 2016, c’est la subjectivi­té des analyses qui était dénoncée par le Conseil du président sur la science et la technologi­e, qui fustigeait les prétention­s d’infaillibi­lité brandies devant les tribunaux.

Le rapport de l’AAAS émet également des réserves quant aux algorithme­s de comparaiso­n mis au point par des firmes privées. Il souligne le manque de connaissan­ces sur la variabilit­é des empreintes laissées par un même doigt (selon la porosité de la surface, par exemple) et mentionne le risque de biais cognitif de l’enquêteur, et d’erreurs liées au manque de formation. Au total, le groupe émet 14 recommanda­tions. « En fait, le rapport insiste sur l’importance de poursuivre les recherches et de faire évoluer la science », observe Alexandre Beaudoin. Un appel d’autant plus urgent que l’administra­tion Trump a mis fin, en juillet dernier, au financemen­t de la National Commission on Forensic Science, un groupe de 30 scientifiq­ues et juristes dont le mandat était d’améliorer la fiabilité des sciences judiciaire­s.

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