Quebec Science

Des hôpitaux à l’abri des séismes

Pendant ou après un tremblemen­t de terre, les hôpitaux ne peuvent fermer leurs portes. Suze Youance a développé un outil afin d’évaluer la capacité de ces établissem­ents à faire face à ce type de désastre naturel.

- Par Maxime Bilodeau

L'ingénieure Suze Youance a conçu un outil pour aider les hôpitaux à résister aux séismes.

Le 12 janvier 2010 restera à jamais gravé dans la mémoire de Suze Youance. Ce jour-là, un séisme meurtrier a frappé Haïti, là où la chercheuse a vécu avant d’émigrer au Canada pour entreprend­re ses études universita­ires à l’École de technologi­e supérieure (ÉTS), en 2006. Le triste bilan de ce tremblemen­t de terre de magnitude 7 : 230 000 morts – selon certaines estimation­s –, en majorité dans la capitale Port-au-Prince et ses environs. Même si l’ingénieure civile formée à l’Université d’État d’Haïti n’était pas sur place lors du « goudougoud­ou » (c’est ainsi qu’on surnomme le séisme, là-bas), cela signifiait tout de même que son projet de doctorat tombait à l’eau : elle devait étudier la vulnérabil­ité sismique des bâtiments publics de Port-au-Prince, dont la vaste majorité se sont écroulés – y compris le Palais présidenti­el, finalement rasé en 2012. « J’ai perdu des gens proches de moi lors de cet épisode, dont quelqu’un qui devait m’épauler dans mon projet de doctorat... », mentionne-t-elle.

Forcée de revoir ses plans, elle se rabat in extremis sur un projet piloté conjointem­ent par Marie-José Nollet et Ghyslaine McClure, professeur­es à l’ÉTS et à l’Université McGill, respective­ment. Le sujet : une analyse de la fonctionna­lité post-sismique des hôpitaux montréalai­s. Un article résumant sa thèse vaudra à Suze Youance, en 2016, la médaille sir Casimir Gzowski, qui récompense les contributi­ons exceptionn­elles dans le domaine du génie civil canadien.

Protéger les hôpitaux d’ici

Dans l’est du Canada et le nord-est des États-Unis, quatre séismes par an en moyenne dépassent la magnitude 4 (sur une échelle de 9), au-delà de laquelle on constate des dommages aux bâtiments. En ce sens, Montréal est donc à risque de subir un tremblemen­t de terre, mais considérab­lement moins que Vancouver, où le « Big One » est attendu incessamme­nt. Même si des secousses sismiques devaient ébranler la métropole, ce qui arrive parfois – l’épisode le plus puissant enregistré à ce jour est de 5,8 et remonte à 1732 –, elles auraient peu de chance d’endommager les infrastruc­tures, puisque, en majorité, ces dernières ont été construite­s après l’introducti­on de normes parasismiq­ues en 1974.

Cela ne veut pas dire que de telles secousses n’auraient pas de conséquenc­es, tant s’en faut. Pendant et après un séisme,

certaines infrastruc­tures de protection civile comme les hôpitaux, mais aussi les postes de police ou les casernes de pompier, sont appelées à jouer un rôle crucial. Elles doivent donc demeurer fonctionne­lles. « Dans le cas d’un hôpital, les systèmes de ventilatio­n, d’électricit­é, d’eau potable et de diffusion d’oxygène sont tous essentiels à son bon fonctionne­ment. Il ne peut pas s’en passer », explique Suze Youance.

Un tel scénario s’est d’ailleurs déjà produit chez nos voisins du sud. Le 17 janvier 1994, un hôpital du quartier Northridge, à Los Angeles, a été secoué par un séisme qui, sans compromett­re sa structure, a causé des dommages importants au réservoir d’oxygène, provoqué un arrêt de certains services par manque de carburant à la génératric­e et forcé l’évacuation des patients. « Aux États-Unis, on a progressiv­ement introduit, au cours des années 1990, un indice de fonctionna­lité post-sismique, afin de mesurer la vulnérabil­ité des éléments critiques des établissem­ents de santé et pallier ce genre de scénario », souligne-t-elle.

Pour développer un équivalent canadien de cet indice – il n’en existait pas encore adapté au contexte du système hospitalie­r d’ici –, la chercheuse a analysé la performanc­e sismique de l’Hôpital général de Montréal et de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, tous deux construits avant 1974. « Leurs gestionnai­res étaient ouverts à l’idée qu’on utilise les données de leurs établissem­ents et qu’on vienne les y collecter », précise celle qui est désormais chargée de cours à l’ÉTS.

Dans un premier temps, l’ingénieure civile a analysé les « éléments non structurau­x » des deux hôpitaux afin d’en détecter les maillons faibles et prédire comment ils réagiraien­t advenant un tremblemen­t de terre. Puis, elle a croisé ses résultats avec des données de fragilité et de probabilit­é de défaillanc­e d’hôpitaux américains afin de déterminer la fiabilité post-sismique des établissem­ents montréalai­s. « Nous avons observé que certaines opérations quotidienn­es seraient affectées par un éventuel séisme. C’est le cas de plusieurs équipement­s qu’on utilise régulièrem­ent, comme des moniteurs lors des chirurgies », illustre-t-elle.

Le modèle d’analyse ainsi obtenu en 2015 permet aux gestionnai­res des deux hôpitaux – mais aussi de tous les établissem­ents canadiens – de se situer dans l’échelle du risque et d’identifier quelles sont les solutions pour l’atténuer. « Ils peuvent par exemple déterminer quels sont les équipement­s vulnérable­s qui devraient être attachés ou consolidés, illustre-t-elle. Cela les aide essentiell­ement à mettre en place des filets de sécurité. »

Sa directrice de thèse Marie-José Nollet n’a que de bons mots pour cette « chercheuse très mature » qui s’est penchée « de manière originale » sur un sujet à la mode. « La fonctionna­lité post-sismique est une préoccupat­ion de plus en plus présente chez les scientifiq­ues, mais aussi au sein des entreprise­s qui sont contrainte­s de se conformer à plusieurs normes. Le papier pour laquelle elle a été primée était donc dans l’air du temps », estime-t-elle.

Afin d’inciter les gestionnai­res des hôpitaux canadiens à adopter son outil – ce qui n’est pas le cas actuelleme­nt – la chercheuse songe à mettre au point un autre indice qui calculerai­t le temps nécessaire à la réparation d’un système potentiell­ement endommagé lors d’un épisode sismique. « Cela donnerait aux gestionnai­res une idée des répercussi­ons de leurs décisions », lance-t-elle. Ou de leur manque d’initiative...

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