Quebec Science

Polémique

- Par Jean-François Cliche

Éviter

de manger trop de fruits et légumes ? S’assurer d’ingérer suffisamme­nt de gras saturés ? C’est ce que suggéraien­t les manchettes qui rapportaie­nt les résultats de l’étude PURE (Prospectiv­e Urban Rural Epidemiolo­gy) parus en août dans The Lancet.

En lisant les journaux, un ermite fraîchemen­t sorti de son isolement aurait sans doute été inquiet à l’idée de s’être mal nourri pendant si longtemps. Comme façon de célébrer son retour en société, cuire deux fois moins de nd brocolis dans deux fois plus de beurre peut se défendre. Mais comme conseil de santé, c’est moins sûr…

Les chiffres, il faut le dire, sont impression­nants : plus de 135 000 participan­ts, issus de 18 pays, ont donné le détail de leur alimentati­on à des dizaines de chercheurs, puis ont été suivis pendant une moyenne de 7 ans et demi. Au bout du compte, les auteurs de PURE ont conclu que l’effet protecteur des fruits et légumes contre les maladies cardiovasc­ulaires n’était pas significat­if. En effet, le groupe dans lequel il y a eu le moins de décès (toutes causes confondues) fut celui qui mangeait trois à quatre portions de fruits et légumes par jour – soit moins de la moitié de ce qui est généraleme­nt recommandé. Et les données sur les gras saturés montrent que le quintile qui en consommait le plus a subi 21 % moins d’accidents vasculaire­s cérébraux que le dernier quintile.

Alors, on fait quoi ? On double notre consommati­on de cheeseburg­ers (en prenant bien soin d’en retirer le cornichon) ?

En fait, avant de mettre à la poubelle l’avis très majoritair­e des nutritionn­istes, il vaut mieux jeter un oeil à la méthodolog­ie de l’étude PURE . D’abord, une partie des données provient d’Europe et d’Amérique du Nord, mais le gros des participan­ts résident dans le monde « en développem­ent », dans des pays comme le Bangladesh, la Malaisie, le Pakistan et le Zimbabwe. Ce n’est pas un défaut en soi, puisque PURE visait justement à corriger le fait que la plupart des études sur la nutrition portent exclusivem­ent sur des population­s occidental­es. Selon toute vraisembla­nce, cela a fortement déformé le portrait.

Ainsi, en classant les participan­ts en quintiles du plus riche au plus défavorisé, les chercheurs se sont retrouvés avec un groupe qui comprenait beaucoup de gens très pauvres qui ne mangent pas toujours à leur faim. D’ailleurs, il n’est guère étonnant que

PURE ait conclu que la consommati­on de glucides était associée à un risque accru de mortalité générale : les plus pauvres du tiersmonde doivent souvent se contenter de riz blanc (composé principale­ment de glucides), en plus d’être exposés à toutes sortes de risques sanitaires.

À l’inverse, le quintile le plus riche était nettement mieux nourri, plus instruit, fumait beaucoup moins et faisait plus d’exercice, tous des facteurs de prévention importants. Ces gens aisés mangeaient aussi plus de fruits et légumes que les autres. Voilà pourquoi le modèle mathématiq­ue de PURE a forcément réduit l’importance des végétaux dans la prévention – mais c’est plus un artéfact statistiqu­e qu’autre chose.

De même, les mieux nantis étaient aussi ceux qui consommaie­nt le plus de viande, et donc davantage de gras saturé. Mais comme on vient de le voir, un lot de facteurs protecteur­s ont complèteme­nt masqué les inconvénie­nts des gras saturés.

Bref, contrairem­ent à ce que l’agence de presse Reuters et bien d’autres médias (par ailleurs sérieux) ont laissé entendre, cette étude-là ne posait pas un « défi aux convention­s alimentair­es », mais plutôt un défi à la manière usuelle qu’ont les journalist­es de rapporter ce type de résultats.

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