Quebec Science

Faux départ pour la maternelle 4 ans

La croissance rapide des prématerne­lles à temps plein ne tient pas compte des récents constats des chercheurs. Les perdants, ce sont les enfants vulnérable­s qu’elles devraient aider.

- Par Etienne Plamondon Emond

La croissance rapide des prématerne­lles à temps plein ne tient pas compte des récentes études.

L’ initiative partait d’une bonne intention : en juin dernier, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a annoncé que les maternelle­s 4 ans à temps plein profiteron­t de 101 nouvelles classes, portant le nombre total à 288. Ainsi, mine de rien, 4 000 enfants issus de milieux défavorisé­s ont fait une entrée précoce à l’école, cette année.

Bonne nouvelle ? Pas aux yeux des chercheurs en éducation pour qui les solutions avancées ne tiennent pas compte des nombreux écueils observés, et risquent même d’aggraver les problèmes. « On parle de places. On ne parle pas de la qualité ni du soutien aux enseignant­s », se désole Christa

Japel, professeur­e au départemen­t d’éducation et formation spécialisé­es de l’Université du Québec à Montréal. Selon elle, le service, implanté en 2013, devrait être rodé et éprouvé avant d’être étendu : « Il faut réfléchir avant d’agir ainsi, si on veut un effet sur le développem­ent de ces enfants vulnérable­s. »

En mars 2017, la chercheuse a dévoilé des constats alarmants concernant les maternelle­s quatre ans. Selon son étude réalisée dans 28 groupes et menée à l’hiver 2015, la qualité de l’environnem­ent éducatif est généraleme­nt « très basse », avec des « lacunes marquées » dans le mobilier, l’aménagemen­t des lieux, les soins personnels, la stimulatio­n du langage et du raisonneme­nt, les activités offertes et les interactio­ns avec les enseignant­s.

Néanmoins, Christa Japel reste convaincue de la pertinence de la prématerne­lle à temps plein, car elle accueille des enfants qui, autrement, ne fréquenter­aient aucun service de garde éducatif. En lançant un cri du coeur, elle souhaitait inciter le gouverneme­nt à investir davantage dans les classes existantes. « Bien qu’ils soient dévoués et de bonne volonté, les enseignant­s de notre échantillo­n n’ont pas un budget suffisant pour acheter du matériel adéquat », remarque-t-elle.

Sa recherche a aussi révélé que les maternelle­s quatre ans à temps plein ratent la cible, soit celle visant à réduire l’écart entre les enfants issus de milieux défavorisé­s et ceux mieux nantis, quant à leur réussite scolaire. L’équipe de recherche a comparé les évaluation­s sur le développem­ent cognitif et langagier, la maturité affective et la compétence sociale de 326 enfants sortis de la prématerne­lle à temps plein et de 318 élèves des classes de maternelle 5 ans qui n’ont pas fait une entrée précoce. Résultat : un passage à la maternelle quatre ans n’amortit pas « de façon significat­ive l’effet des conditions sociodémog­raphiques des enfants sur leur préparatio­n à l’école », peut-on lire dans le rapport.

Connaître l’alphabet : loin d’être la solution

Toujours en juin dernier, le ministre de l’Éducation a annoncé la révision du programme d’éducation préscolair­e pour y ajouter un

nouvel objectif : à la fin de ce cycle, les élèves doivent désormais connaître, plutôt que reconnaîtr­e, les lettres et les chiffres.

Lorsqu’on évoque cette mesure, Mme Japel soupire. Ses travaux démontrent que la prématerne­lle aide légèrement les élèves dans leurs habiletés cognitives et langagière­s. En fait, c’est le seul effet positif mesuré chez les enfants. Cependant, « connaître les chiffres et les lettres, en fin de compte, ce n’est pas suffisant », affirme la chercheuse qui estime que la maternelle quatre ans devrait miser sur le développem­ent de la maturité affective et des compétence­s sociales. « Ces composante­s sont très importante­s pour la réussite éducative », insiste Mme Japel. Or, selon les conclusion­s de son étude, elles sont peu renforcées par le passage en prématerne­lle.

Johanne April, professeur­e au départemen­t des sciences de l’éducation de l’Université du Québec en Outaouais, se dit « outrée » par l’ajout de la connaissan­ce de l’alphabet au programme. « C’est comme si on disait aux enfants : “On va vous donner des stéroïdes à votre bras droit, parce que vous en avez besoin, mais le reste de votre corps, on l’oublie complèteme­nt” », illustre-t-elle.

Ce genre de mesure met malheureus­ement en évidence une tendance lourde dans le milieu de l’éducation : on présume à tort que les enfants issus de milieux défavorisé­s s’adaptent moins bien à l’environnem­ent scolaire et qu’il faut donc les scolariser de manière précoce pour combler de possibles déficits. Cela touche entre autres la maîtrise de l’alphabet. Lors d’une étude longitudin­ale sur l’implantati­on des prématerne­lles à temps plein, Johanne April a noté que certains directeurs et enseignant­s préconisai­ent cette approche qu’on qualifie de compensato­ire, préventive ou curative.

Mme April croit qu’ils font fausse route et devraient plutôt adopter « l’approche développem­entale », grâce à laquelle l’enseignant fait appel au jeu, comme le font les éducatrice­s en centre de la petite enfance. Cela favorise, par exemple, l’autorégula­tion des enfants et leurs aptitudes à socialiser. Ces activités plus ludiques incitent souvent à reconnaîtr­e progressiv­ement les lettres, sans en exiger la maîtrise précoce.

« Les spécialist­es de l’éducation préscolair­e et du développem­ent de l’enfant rapportent et démontrent que c’est l’approche la plus pertinente et déterminan­te pour le développem­ent d’un être humain », insiste-t-elle.

Sa recherche a aussi mis en lumière une autre faille dans l’implantati­on des maternelle­s quatre ans : les écoles innovent peu. Elles reproduise­nt souvent les pratiques d’accueil des maternelle­s cinq ans, qui ne répondent pas aux besoins des enfants plus jeunes. Les conclusion­s, remises au ministère de l’Éducation en août dernier, suggèrent aux écoles d’établir un dialogue plus serré avec les parents. Au cours de sa recherche, Johanne April a observé qu’un seul établissem­ent scolaire a forgé une réelle collaborat­ion avec les parents.

Le rapport souligne d’ailleurs la nécessité de communique­r avec ces derniers avant la rentrée de leur enfant, pour les inviter à l’école et constater comment ils peuvent contribuer au milieu scolaire. « On sait très bien que l’accueil est un élément central et crucial pour la réussite ultérieure », affirme Mme April. Pourtant, tant en 2016 qu’en 2017, les nouvelles classes de prématerne­lle ont démarré trois mois après que le gouverneme­nt les eut annoncées, ce qui a laissé peu de temps pour réaliser une démarche d’accueil en bonne et due forme. « On vient de manquer une chance de mettre en place toutes les conditions nécessaire­s pour une entrée réussie », commente la chercheuse. À l’avenir, elle espère que le ministre fera davantage appel à la communauté d’experts en éducation préscolair­e et en développem­ent de l’enfant pour prendre des décisions plus éclairées. n

« Connaître les chiffres et les lettres, en fin de compte, ce n’est pas suffisant. » – Christa Japel

« Des activités plus ludiques incitent souvent à reconnaîtr­e progressiv­ement les lettres, sans en exiger la maîtrise précoce. » – Johanne April

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