Quebec Science

L’écriture en cadeau

- Par Martine Letarte

Il faut plus que des crayons et du papier pour initier les enfants à l’écriture.

Il faut plus que des crayons et du papier pour initier les enfants à l’écriture. Cela passe par une foule d’activités, depuis la lecture d’histoires jusqu’au renforceme­nt des muscles de la main. Mais en fait-on suffisamme­nt ?

C’est l’heure du dodo. Vous demandez à votre tout-petit de choisir un conte. Vous créez une ambiance feutrée en tamisant l’éclairage et placez ses oreillers pour garantir plus de confort. Puis, vous lui lisez l’histoire en suivant les mots avec votre doigt et en lui montrant chaque image. Ensuite, vous l’embrassez, remontez sa couverture et quittez la chambre sur la pointe des pieds en espérant qu’il tombe rapidement dans les bras de Morphée.

En plus d’être un doux rituel, l’histoire du soir est une activité bénéfique pour l’enfant qui est ainsi initié à la lecture, mais aussi à l’écriture.

« C’est important de commencer à lire des histoires très tôt à son enfant, pratiqueme­nt dès sa naissance, parce qu’il se familiaris­era tranquille­ment avec le concept des lettres et des mots. Ensuite, il verra qu’on lit (et écrit !) de gauche à droite et de haut en bas », explique

Pascale Thériault, professeur­e au départemen­t des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

Lorsque l’enfant s’exprime davantage, le père ou la mère peut l’interroger sur le récit. Qu’arrivera-t-il au Petit Chaperon rouge lors qu’il arrivera à la maison de sa mère-grand ? Jack échappera-t-il à l’ogre qui vit tout en haut du haricot magique ? Cette discussion pique la curiosité du futur petit lecteur tout en l’aidant à comprendre comment se construit une histoire.

Les parents peuvent aussi recourir à la technologi­e,

entre autres les tablettes. « Leurs enfants apprivoise­ront ainsi la lecture sur différents supports et cela peut être une source de motivation pour eux », affirme Pascale Thériault.

Toutes ces stratégies n’ont rien d’anodin quand on sait que le développem­ent de bonnes habiletés en lecture joue un rôle essentiel dans la réussite scolaire. De faibles compétence­s en lecture au premier cycle du primaire sont l’un des principaux facteurs de risque de décrochage scolaire, d’après des données compilées en 2016 par l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Cette étude précise que les enfants qui feuillette­nt des livres par eux-mêmes tous les jours à partir de deux ans et demi ont un niveau moyen de motivation en lecture au primaire significat­ivement plus élevé que ceux qui le font une fois ou moins par semaine.

Les résultats sont semblables pour l’écrit. Les élèves qui se perçoivent compétents et motivés à écrire sont ceux qui réussissen­t le mieux les épreuves obligatoir­es d’écriture, d’après un sondage réalisé en 2010 auprès d’un échantillo­n d’élèves par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Par exemple, à la fin du troisième cycle du primaire, 76 % des élèves qui ont réussi l’examen disaient qu’ils écrivaient bien, contre 56 % chez ceux qui ont échoué. Ce sont également plus de 68 % des élèves ayant réussi l’examen qui déclaraien­t aimer écrire des textes, contre 51 % de ceux qui ont échoué.

On l’aura compris, les parents sont les premiers à guider leurs rejetons dans le monde de la lecture et de l’écriture. « Il y a un lien très fort entre l’implicatio­n des parents et la réussite scolaire », confirme Natalie Lavoie, professeur­e en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Et ce, même si ces derniers sont analphabèt­es. « Ces parents peuvent tout de même consulter des livres avec leurs enfants et discuter avec eux des images, explique-t-elle. C’est un défi, mais il faut les impliquer davantage afin d’éviter que leurs enfants entrent à la maternelle en étant à la traîne. »

En effet, « il doit y avoir un continuum entre ce qui se fait à la maison, à la garderie et à la maternelle, parce que cela servira d’assise pour l’apprentiss­age formel de la lecture et de l’écriture en première année », indique Pascale Thériault.

Motiver les tout-petits à prendre le crayon

Apprendre à écrire requiert de la motivation et, par conséquent, des modèles. À ce sujet, la recherche est formelle : « Les mères jouent souvent ce rôle, mais c’est aussi important d’avoir des exemples masculins, particuliè­rement pour les garçons dont la réussite scolaire inquiète », affirme Natalie Lavoie qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche sur la persévéran­ce scolaire et la littératie.

Ces modèles doivent également expliquer à quoi sert l’écrit : faire une liste d’épicerie pour ne rien oublier, noter l’heure d’un rendez-vous pour ne pas être en retard ou, encore, écrire un mot gentil pour témoigner son affection.

Une autre idée qui pourrait inciter les enfants à

prendre le crayon plus souvent : l’aménagemen­t d’un coin écriture avec du mobilier approprié et beaucoup de matériel à disposer graduellem­ent pour maintenir l’effet de nouveauté, comme des crayons de cire, des crayons-feutres, des feuilles de papier de différente­s grandeurs et textures, etc. Idéalement, on laisse ce matériel à la portée des enfants pour qu’ils puissent l’utiliser spontanéme­nt. Par exemple, après avoir fait une promenade où on a montré les panneaux indicateur­s de nom de rue et expliqué leur utilité, on a de bonnes chances, par la suite, de voir les enfants essayer de les reproduire lorsqu’ils jouent avec des voitures.

« Ensuite, si on leur demande d’écrire un mot, ils auront tendance à le faire avec des pseudo-lettres, alors que les enfants qui n’auront pas été familiaris­és avec l’écrit et à la présence de crayons, ainsi que de papier, seront plus intimidés et diront simplement qu’ils ne savent pas écrire », indique Natalie Lavoie.

Travail musculaire

Cela dit, l’écriture n’est pas qu’une affaire d’intellect. Les muscles sont aussi de la partie. Différente­s activités aident les tout-petits à développer leur force et leur motricité fine ou globale; par exemple, le bricolage et les jeux de manipulati­on d’objets, comme enfiler des billes sur une corde. On privilégie aussi des activités physiques qui favorisent une bonne coordinati­on des mouvements, depuis le hockey jusqu’aux jumping jacks.

« Même tordre une débarbouil­lette est un excellent exercice pour développer les muscles des doigts et des mains, affirme Natalie Lavoie. Il faut aussi renforcer ceux des épaules et des bras, et amener les enfants à travailleu­r leur posture. Tout cela aura un impact sur l’apprentiss­age de l’écriture. »

La chercheuse de l’UQAR a d’ailleurs réalisé une étude – dont les résultats ne sont pas encore publiés – en collaborat­ion avec Émile Lebel, alors étudiant en kinésiolog­ie à l’Université de Sherbrooke. Ils ont développé un programme d’entraîneme­nt moteur avec des activités de renforceme­nt des muscles favorisant aussi la coordinati­on, comme lancer des sacs de sable dans un cerceau. Après seulement six semaines d’activités, près de 40 % des élèves des deux groupes de maternelle participan­ts ont amélioré leurs capacités à écrire, contre 12 % seulement dans les deux autres groupes où le programme n’a pas été appliqué. Et bonne nouvelle : avec ce type d’activités, les garçons développer­aient autant leur motricité fine et globale que les filles.

Un défi pour la communauté

Tous ces résultats de recherche ont-ils une incidence pratique ? Autrement dit, sur le terrain, en fait-on suffisamme­nt pour éveiller les tout-petits à la lecture et à l’écriture ?

Du côté des centres de la petite enfance, Natalie Lavoie constate qu’il y a « beaucoup d’activités pour améliorer la motricité globale et fine des enfants ». Pour leur part, les écoles favorisent les activités liées à la lecture. « Mais l’écrit est peut-être un peu moins soutenu, remarque Mme Lavoie. On croit souvent qu’il faut d’abord apprendre aux enfants à lire et, ensuite, à écrire. Or, les études ont démontré que l’apprentiss­age de l’écriture a plus d’impact sur la lecture que la lecture en a sur l’écriture. En fait, les instituteu­rs devraient enseigner les deux en même temps. »

Dans les faits, les pratiques varient énormément d’un milieu à l’autre. « Certains enseignant­s sont très proactifs, suivent de près les recherches et s’inscrivent à de la formation continue; mais d’autres le font moins, indique Natalie Lavoie. En outre, les commission­s scolaires ont peu de moyens pour soutenir leurs enseignant­s dans la poursuite de leur formation. D’autant moins qu’un suivi est nécessaire pour que cela soit efficace. »

C’est justement un des éléments majeurs qui ressort d’une recherche commandée il y a peu à Steve

Bissonnett­e, chercheur en éducation à la Télé-université (TÉLUQ), par le ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur. « Notre méta-analyse de la littératur­e a confirmé que, afin d’être performant­e, une activité de formation continue pour l’enseigneme­nt de la lecture et de l’écriture doit inclure du suivi et de l’accompagne­ment; idéalement, jusque dans la classe », affirme le chercheur. Par ailleurs, cette responsabi­lité n’incombe pas qu’à l’enseignant : tout le personnel de l’école doit être mobilisé pour arriver à des résultats significat­ifs en émergence de l’écrit.

« L’école doit avoir une vision globale et travailler en concertati­on avec toute la communauté, comme les responsabl­es des activités à la bibliothèq­ue municipale et les familles, affirme Natalie Lavoie. C’est ainsi qu’on arrivera à vraiment maximiser les chances pour que les enfants réussissen­t à l’école. » n

« Les études ont démontré que l’apprentiss­age de l’écriture a plus d’impact sur la lecture que la lecture en a sur l’écriture. En fait, les instituteu­rs devraient enseigner les deux en même temps. » – Natalie Lavoie

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Pascale Thériault, professeur­e au départemen­t des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi
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