Quebec Science

À bas la maltraitan­ce

En 2015-2016, on recensait chaque jour plus de 20 nouveaux cas de maltraitan­ce chez les enfants de moins de 5 ans. Que peut-on faire pour mieux protéger nos tout-petits?

- Par Nathalie Kinnard

Que peut-on faire pour mieux protéger nos tout-petits ?

Au cours des 10 dernières années, le nombre de cas de maltraitan­ce chez les bambins a grimpé de 27 %, selon un rapport publié en 2017 par l’Observatoi­re des tout-petits. Comment est-ce possible, alors que les programmes de soutien à la parentalit­é se multiplien­t ? « Il est clair qu’on n’arrive pas à joindre tous les parents qui ont besoin d’aide », constate Marie-Ève Clément, professeur­e au départemen­t de psychoéduc­ation et de psychologi­e à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la violence faite aux enfants.

La chercheuse voit aussi dans l’augmentati­on des signalemen­ts rapportés à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) une plus grande sensibilis­ation des Québécois à la maltraitan­ce. « La population est mieux outillée pour détecter et signaler des cas à problèmes », précise celle qui a corédigé l’Analyse scientifiq­ue sur la violence et la maltraitan­ce chez les tout-petits à partir des banques de données de la DPJ et de l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ).

La maltraitan­ce comprend tout ce qui a des conséquenc­es sur la sécurité, le développem­ent ou l’intégrité physique et psychologi­que de l’enfant : négligence, abus physiques, sexuels ou psychologi­ques, abandon, etc. « C’est un phénomène complexe qui prend plusieurs formes et n’a pas une seule cause », explique Carl

Lacharité, professeur en psychologi­e à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Contrairem­ent aux idées reçues, il n’existe pas de portrait type des familles suivies par la DPJ : le manque de revenus et une éducation limitée n’expliquent pas à eux seuls les situations de maltraitan­ce. Évidemment, des conditions socioécono­miques précaires sont des

facteurs de risque, mais d’autres réalités entrent en jeu. Selon l’Enquête québécoise sur l’expérience des parents d’enfants de cinq ans et moins effectuée en 2015, les parents salariés qui concilient difficilem­ent carrière et obligation­s familiales sont plus à risque de crier, d’élever la voix ou de se mettre en colère contre leurs enfants au moins une fois par jour. Le stress associé au tempéramen­t difficile d’un enfant, la dépression, l’anxiété, les troubles de personnali­té, ainsi que la consommati­on de drogues et d’alcool chez un parent affectent également l’environnem­ent familial et peuvent conduire à la maltraitan­ce. « Plus on combine de facteurs de risque, plus l’enfant est susceptibl­e de subir des sévices », ajoute Carl Lacharité. Depuis 25 ans, le chercheur et sa collègue Louise

Éthier se penchent sur les situations de négligence, la catégorie de maltraitan­ce la plus fréquente en Occident. Ils ont suivi une centaine d’enfants pris en charge par la DPJ parce que leurs parents ne répondaien­t pas à leurs besoins affectifs, physiques, psychologi­ques et éducationn­els. « La négligence est à la base de 60 % des cas de prises en charge des cinq ans et moins, révèle Carl Lacharité qui dirige aussi le Centre d’études interdisci­plinaires sur le développem­ent de l’enfant et la famille. La majorité de ces situations correspond­ent à de la négligence chronique, c’est-à-dire qui se transmet de génération en génération. » Fait important, les enfants négligés sont plus susceptibl­es de subir de la violence physique ou verbale. Un tout-petit sur quatre a ainsi vécu ces deux formes d’agression en 2012.

Dans les enquêtes population­nelles qu’elle a menées avec l’ISQ, Marie-Ève Clément a toutefois constaté que la proportion des cinq ans et moins victimes de formes mineures de punition corporelle – comme la fessée, la gifle ou le serrage de bras – avait diminué de 59,9 % à 47,8 % entre 1999 et 2012. Un progrès, certes, mais qui est assombri par le taux de violence physique sévère qui stagne à 4 % depuis 1999. L’agression psychologi­que répétée qui touchait 38,1 % des tout-petits a, quant à elle, grimpé à 43,8 %. Derrière cette statistiqu­e se cache l’isolement grandissan­t des parents et le manque d’entraide entre familles. « Les parents vivent avec la pression sociale de devoir être compétents, mais sans aide. Pourtant, élever des enfants, ça ne se fait pas tout seul ! » souligne Carl Lacharité.

Mission prévention

Pour mieux protéger nos petits, on doit investir davantage dans la prévention, martèle Carl Lacharité. Car dès que la maltraitan­ce s’insinue au sein d’une famille, il devient plus difficile de renverser la vapeur. Certaines interventi­ons ont fait leurs preuves : briser l’isolement des familles avec des visites à domicile par une infirmière, soutenir les parents en leur offrant du répit, grâce à des organismes communauta­ires, et favoriser l’entraide parentale.

Instauré dans certains CLSC de Québec et de Montréal depuis 2015, le programme Triple P (abréviatio­n de « pratiques parentales positives ») offre aux parents des outils efficaces, comme des conférence­s, du coaching et des formations, pour améliorer leurs relations avec leurs enfants. Ses impacts sont jusqu’à présent très positifs. Carl Lacharité rappelle cependant qu’il ne faut jamais intervenir à la place des parents. Ceux-ci se sentent alors dévalorisé­s et incompéten­ts, ce qui n’aide en rien à résoudre le problème. On les amène plutôt à réfléchir aux besoins de leurs enfants et aux conséquenc­es de leurs gestes, notamment en créant des groupes de discussion entre parents, comme le font la plupart des Maisons des Familles.

Dans son rapport, l’Observatoi­re des tout-petits rappelle que la maltraitan­ce est un problème de santé publique majeur. Pour les enfants, les conséquenc­es sont dévastatri­ces : retards moteurs et de langage, difficulté­s d’attention et de concentrat­ion, anxiété, faible estime de soi et agressivit­é. Pour soulager les maux de ces bouts de chou, la société n’a d’autre choix que de dépenser des milliards de dollars en soins de santé, en éducation spécialisé­e, en services sociaux, en frais judiciaire­s, en services policiers, etc.

Et plus la maltraitan­ce survient tôt dans l’enfance, plus les répercussi­ons sont importante­s. « Les jeunes qui naissent dans un univers de maltraitan­ce seront beaucoup plus hypothéqué­s par les séquelles que ceux qui connaissen­t un abus à une période donnée de leur vie », indique Carl Lacharité. Voilà pourquoi le chercheur se penche sur l’impact des centres de la petite enfance (CPE) et autres services de garde dans la détection de la maltraitan­ce. « Étonnammen­t, moins de 1 % des signalemen­ts sont faits par les profession­nels de la petite enfance », a-t-il constaté. Il croit que les réseaux des milieux de garde et de la DPJ se connaissen­t mal et, donc, se parlent peu. Les éducatrice­s seraient par ailleurs peu enclines à signaler, car elles souhaitent préserver les liens de confiance avec les familles, ajoute Marie-Ève Clément qui vérifie actuelleme­nt ces hypothèses à l’aide d’une enquête en ligne menée auprès de plusieurs milieux, dont les CPE, les hôpitaux et les Centres jeunesse. Les résultats permettron­t de mieux outiller les profession­nels pour qu’ils détectent et soutiennen­t rapidement les familles qui ont besoin d’aide.

« Être parent, c’est complexe et de plus en plus exigeant dans notre société, conclut Carl Lacharité. Nous espérons que la recherche pourra les aider à remplir ce rôle. » n

« Les parents vivent avec la pression sociale de devoir être compétents, mais sans aide. Pourtant, élever des enfants, ça ne se fait pas tout seul ! » – Carl Lacharité

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