Quebec Science

S’épanouir malgré les retards

- Propos recueillis par Annie Labrecque

Entrevue avec Carmen Dionne, spécialist­e du dépistage précoce des retards de développem­ent.

Le dépistage précoce chez les enfants avec des retards de développem­ent est au coeur des recherches de Carmen

Dionne, professeur­e au départemen­t de psychoéduc­ation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Maintes fois récompensé­e pour ses travaux, elle a obtenu, en 2016, une Chaire UNESCO pour étudier de meilleures pratiques d’interventi­on auprès de ces enfants en difficulté, en impliquant davantage les familles et la communauté.

Vous étudiez depuis longtemps le développem­ent de l’enfant de six ans et moins. Lorsqu’on parle d’un enfant en difficulté ou avec des besoins particulie­rs, que veut-on dire exactement ?

C’est un enfant qui peut avoir une incapacité physique, intellectu­elle ou sensoriell­e. On parle notamment du trouble du spectre de l’autisme, d’une déficience intellec- tuelle ou visuelle, d’un trouble de la communicat­ion, etc.

Comment dépiste-t-on ces retards de développem­ent ?

On utilise entre autres un questionna­ire rempli par les parents ou les éducatrice­s en milieu de garde, ou tout autre proche. Ce sont des questions simples sur des comporteme­nts facilement observable­s. Par exemple, on demande si l’enfant peut boutonner son manteau. Est-il capable de prendre un petit morceau de nourriture avec ses doigts ? Vous regarde-t-il quand vous lui parlez ? Cet outil couvre les premiers mois de vie de l’enfant jusqu’à l’entrée à l’école. Cela donne donc, à différente­s périodes, un portrait de son développem­ent avec ses forces et ses faiblesses.

On peut ainsi déterminer sur quoi intervenir. Il faut noter qu’on ne cerne pas directemen­t le problème; ce n’est pas un diagnostic. On tire plutôt la sonnette d’alarme en indiquant si l’enfant doit aller vers une

évaluation plus approfondi­e ou vers des services spécialisé­s lorsqu’un certain ralentisse­ment apparaît dans son développem­ent.

Si l’enfant commence à accumuler des retards, avant même d’avoir un diagnostic formel, on peut déjà intervenir et soutenir son développem­ent. En se mobilisant rapidement autour de lui, il y a de fortes chances que son parcours se déroule bien.

Si l’on détecte un certain retard, quel type de soutien peut-on offrir à l’enfant ?

On ajuste notre interventi­on selon son niveau de développem­ent. Par exemple, l’éducatrice en milieu de garde peut offrir un modèle à l’enfant en se servant d’un ami pour montrer ce qu’on attend de lui. Il faut lui énoncer les consignes le plus simplement possible pour qu’il comprenne bien. C’est aussi important de ne pas proposer à l’enfant des défis trop grands ou trop faciles. Il faut offrir des défis à sa mesure pour favoriser son épanouisse­ment.

Vous vous intéressez d’ailleurs plus particuliè­rement à l’inclusion de ces enfants en difficulté.

En effet. L’inclusion d’un enfant en difficulté dans son milieu de vie, peu importe son retard, lui permet de bien cheminer.

Les services de garde ont montré de l’ouverture en s’engageant à accueillir les enfants avec des besoins particulie­rs. Ils permettent par exemple des interventi­ons d’éducateurs spécialisé­s dans leur milieu. Cela finit par enrichir le quotidien de tous les enfants. Plusieurs études le démontrent : côtoyer la différence a un impact positif chez les tout-petits. Plus tard, ces jeunes devenus adolescent­s ou adultes vivront mieux cette réalité.

Dans l’un de nos projets de recherche qui s’étend sur une période de sept ans, on s’intéresse justement à l’inclusion des enfants en milieu préscolair­e, dont les centres de la petite enfance (CPE). Comment mobilise-t-on l’équipe d’éducatrice­s pour avoir les interventi­ons les plus appropriée­s auprès des enfants ayant des besoins particulie­rs ? C’est ce qu’on examinera dans le cadre d’un partenaria­t avec quatre CPE de la région Mauricie–Centre-du-Québec et deux CPE de l’Abitibi-Témiscamin­gue. Cela donnera un portrait régional de la situation d’inclusion des enfants en milieu de garde, ce qui nous permettra de mieux les accompagne­r.

Devrait-on investir davantage dans le secteur de la petite enfance ?

« Ça ne sert à rien de faire du dépistage chez les enfants, car on n’a aucun soutien à leur offrir par la suite », nous répète-t-on souvent. C’est faux. En disant cela, on sous-évalue la capacité d’adaptation des enfants, de leur entourage, des intervenan­ts et des milieux de vie. En travaillan­t avec les familles, on est en mesure de mieux utiliser les ressources déjà présentes pour bien accompagne­r l’enfant, sans avoir recours à des services ultra spécialisé­s.

Cela étant dit, si on pouvait augmenter les budgets destinés à la petite enfance, on en serait très heureux, car c’est un très bon investisse­ment.

« L’inclusion d’un enfant en difficulté dans son milieu de vie, peu importe son retard, lui permet de bien cheminer. »

Quel changement avez-vous perçu au fil des ans relativeme­nt au dépistage précoce ?

L’idée de dépister le plus rapidement possible fait davantage partie de la norme dans le milieu de la nd recherche, même s’il existe une ligne de pensée voulant qu’il ne faut pas le faire systématiq­uement pour tous les enfants, surtout lorsque les ressources ne sont pas disponible­s. Ce débat-là existe encore. D’ailleurs, nous n’avons pas de dépistage systématiq­ue au Québec. Des CPE le font, d’autres non; des organismes et des ressources de première ligne y participen­t également. Mais on n’a pas d’informatio­n sur les actes de dépistage en tant que tels. Si c’était le cas, on pourrait, à l’intérieur d’un territoire donné, suivre le développem­ent des enfants et évaluer leurs besoins en termes de services spécialisé­s. Cela nous aiderait à connaître la trajectoir­e de ces enfants jusqu’à leur entrée à l’école. Si on pouvait avoir des données plus solides, on pourrait ainsi bâtir, dans le futur, des politiques adaptées à leur réalité.

Selon Statistiqu­e Canada, 27 000 petits Canadiens de moins de 4 ans présentent une incapacité. La plus fréquente, dans un peu plus de 60 % des cas, concerne les retards de développem­ent.

Vous avez reçu l’été dernier une subvention de 300 000 $ de différents organismes pour développer une plateforme interactiv­e web. À quoi servira-t-elle ?

On y trouvera des ressources utiles pour les parents, les services de garde et les organismes communauta­ires. Nous recueiller­ons aussi des données auprès d’eux pour dresser un portrait provincial de la situation d’inclusion en milieu de garde. n

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Carmen Dionne est titulaire de la Chaire UNESCO en dépistage et évaluation du développem­ent des jeunes enfants.
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