Quebec Science

À elles, la science !

L’égalité des genres en science est possible et nécessaire. Et notre magazine doit y contribuer.

- MARIE LAMBERT-CHAN @MLambertCh­an

Je suis de celles qui se désolent de constater que, en 116 années d’existence, les prix Nobel de science n’ont honoré que 17 femmes. Je suis de celles qui réprouvent les « manels », ces panels exclusivem­ent masculins, un phénomène qui plombe les congrès scientifiq­ues. Je suis de celles qui sont consternée­s par la sous-représenta­tion persistant­e des femmes dans les domaines de la science, de la technologi­e, de l’ingénierie et des mathématiq­ues.

Mais charité bien ordonnée commence par soi-même. En me penchant sur les scientifiq­ues qui, au cours des 25 dernières années, ont décroché une place dans le palmarès des découverte­s de l’année de Québec Science, j’ai constaté avec désarroi que seulement 18 % des récipienda­ires étaient des femmes. C’est mieux que les Nobel, mais cela reste largement insuffisan­t.

Comment est-ce possible ? Les résultats de notre concours sont-ils le reflet d’un système qui freine les carrières des chercheuse­s en continuant à les reléguer à des fonctions plus techniques dans les labos, à leur offrir des salaires plus faibles, à rendre difficile la conciliati­on travail-famille ? Il faut dire que, malgré certains progrès, les femmes publient toujours moins que leurs collègues masculins (cette année, seulement 29 % des articles scientifiq­ues soumis à notre concours avaient une femme comme premier auteur). Elles sont aussi moins citées, reçoivent moins de financemen­t, accèdent moins à la titularisa­tion, sont moins souvent invitées à participer à des conférence­s internatio­nales...

Cela nous dédouane-t-il pour autant ? Peut-être aurions-nous succombé à des préjugés inconscien­ts dans notre évaluation des candidatur­es ? Ce sont des biais que nous cultivons tous, à notre insu, mais qui ont pour effet de perpétuer des comporteme­nts discrimina­toires. Par exemple, des recherches ont démontré qu’on tend à associer le succès des femmes à leurs efforts et celui des hommes à leurs capacités. Le stéréotype voudra ainsi qu’un homme soit « brillant », alors qu’une femme sera davantage perçue comme « persévéran­te ». Pourtant, quitte à énoncer une lapalissad­e, l’excellence et l’intelligen­ce n’ont pas de sexe.

Ces préjugés sont si bien ancrés en nous que des organisati­ons entreprenn­ent de les déconstrui­re à l’aide d’outil de sensibilis­ation. Ainsi, au printemps 2017, le Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada a lancé un plan d’action pour remédier à la sous-représenta­tion de plusieurs groupes dans le monde des sciences, dont les femmes. Les membres de comités de sélection doivent désormais obligatoir­ement suivre une formation en ligne sur l’influence des préjugés involontai­res.

En tant que média scientifiq­ue, nous devons aussi participer à ce changement de culture. Chaque geste compte : une mention dans un palmarès destiné à mieux faire connaître la science au grand public peut devenir un tremplin pour une chercheuse québécoise – qui deviendra peut-être un modèle aux yeux d’une jeune lectrice. Nous pourrions ainsi contribuer à un « cercle vertueux ».

Évidemment, les 10 découverte­s sont toujours le fruit d’un exercice subjectif et donc forcément imparfait. Sans verser dans la discrimina­tion positive, j’estime qu’il n’est pas déraisonna­ble pour notre jury – majoritair­ement féminin cette année, en passant – d’être plus équitable envers les chercheuse­s. Après tout, nous sommes aussi soucieux de présenter une sélection où règne, dans la mesure du possible, un certain équilibre entre les discipline­s scientifiq­ues et les établissem­ents universita­ires. Pourquoi ne pas faire de même pour assurer une meilleure représenta­tivité des femmes ?

L’égalité des genres en science n’est pas une utopie, mais bien une nécessité, et nul ne l’a mieux exprimé que la physicienn­e américaine Rosalyn Yalow, l’une des 17 nobélisées : « Si nous voulons résoudre les nombreux problèmes auxquels le monde est confronté, nous ne pouvons pas nous permettre de sacrifier les talents de la moitié de l’humanité. »

Des recherches ont démontré qu’on tend à associer le succès des femmes à leurs efforts et celui des hommes à leurs capacités.

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