Quebec Science

Brisons la glace !

À Terre-Neuve, des ingénieurs testent les futurs briseglace­s dans un immense bassin intérieur. Visite de ce lieu devant lequel on ne peut rester de glace!

- Par Annie Labrecque

Il s’agit du plus grand bain de glace intérieur au Canada, sauf que personne ne s’y mouille. Seuls des modèles réduits de brise-glaces naviguent sous l’oeil attentif des ingénieurs. Situé sur l’avenue de l’Arctique, à St. John’s, Terre-Neuve, ce bassin sert à tester la résistance, la manoeuvrab­ilité et la propulsion des futurs brise-glaces dans un environnem­ent arctique.

D’une profondeur de 3 m et d’une longueur de 90 m, cette installati­on, qui appartient au Conseil national de recherches Canada (CNRC), est la plus importante du genre au Canada, la deuxième étant située en Ontario. Pour transforme­r ce gigantesqu­e volume d’eau en une banquise miniature, il faut plonger tout le bâtiment à -25 °C, pendant plusieurs heures. « On envoie dans l’air une bruine qui gèle en petits cristaux à la surface de l’eau. Ceux-ci formeront alors une couche de glace de plus en plus épaisse. On dirait presque que l’on cultive de la glace ! » s’amuse Jim Millan, directeur du CNRC à St. John’s. Et, selon les besoins, les ingénieurs peuvent reproduire la glace dans tous ses états : glace à la dérive, glace épaisse, fragments d’icebergs, calottes glaciaires, etc. Les ingénieurs du CNRC sont, pour ainsi dire, des experts en fabricatio­n de glace, car il est crucial d’obtenir une structure des plus réalistes.

Lorsque le bassin est prêt, on remorque, à l’aide d’un pont mobile, le bateau à tester qui mesure de 4 m à 6 m de long, soit autant qu’une voiture. À l’aide d’une télécomman­de, on évalue alors la capacité du modèle réduit à se frayer un chemin dans la glace.

« C’est beaucoup moins dispendieu­x pour les chantiers navals d’expériment­er les bateaux à plus petite échelle avant de les construire, affirme Jim Millan. Un modèle réduit, en fibre de verre, coûte environ 200 000 $ alors qu’on peut dépenser jusqu’à 1 milliard de dollars pour un véritable brise-glace. L’investisse­ment vaut la peine. Lors des essais, qui durent de une heure à une journée, on sait rapidement si l’on doit améliorer la sécurité, la conception du bateau ou s’il sera incapable de briser la glace. »

Puisqu’on utilise des maquettes à 1:25, on doit également appliquer cette échelle à l’épaisseur de la glace. « Par exemple, pour représente­r un bateau de 100 m, on dispose d’un modèle réduit de 4 m. Quant à la glace, l’équivalent de 1 m correspond à une glace de 4 cm à l’intérieur du laboratoir­e de St. John’s », indique Jim Millan. La dureté de la glace est aussi réduite; on y ajoute du glycol pour la rendre un peu plus « molle ».

« La glace est un matériau compliqué à modéliser. On perfection­ne la technique depuis une quinzaine d’années grâce à la collecte de données », explique le directeur du CNRC.

Les mesures obtenues par les instrument­s tels que caméras sous-marines, caméras infrarouge­s et accéléromè­tres permettent aux ingénieurs de transposer les résultats à la réalité et, ainsi, de bâtir un brise-glace puissant et résistant. Jusqu’à 12 navires par an peuvent être testés dans ces installati­ons. Récemment, le CNRC a été chargé de mener des essais pour les futurs briseglace­s américains. Cela représente un défi pour les constructe­urs, car ces navires doivent être conçus pour voguer autant à 40 °C qu’à -40 °C, puisqu’ils sont appelés à transiter depuis l’Équateur jusque vers l’Arctique. D’autres secteurs, comme les compagnies pétrolière­s qui construise­nt des structures en région nordique, bénéficien­t également des services du CNRC. Alors qu’on projette une augmentati­on du trafic maritime dans l’Arctique, parions que ces ingénieurs du froid ne manqueront pas de travail.

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