Quebec Science

Dans la peau du patient

Pour améliorer la qualité des soins, de futurs médecins plongent, le temps d’une demi-journée, dans la réalité du patient.

- Par Annie Labrecque

Attendre pour faire ses prises de sang dans une salle bondée, courir d’un bout à l’autre de l’hôpital pour obtenir une prescripti­on, poireauter dans le bureau du médecin… Les consultati­ons médicales sont souvent un vrai parcours du combattant pour les malades. Mais si cela aboutit à la rencontre d’un médecin empathique qui comprend la réalité du patient, cela peut faire toute la différence quant à la qualité des soins reçus.

Pour sensibilis­er les futurs médecins à cette situation, la faculté de médecine de l’Université de Montréal leur propose d’accompagne­r un patient pendant une demi-journée, et de le suivre dans les couloirs de l’hôpital. Mis en place au printemps 2017 par l’équipe du docteur Philippe Karazivan, professeur en médecine et codirecteu­r de la Direction collaborat­ion et partenaria­t patient (DCPP), ce projet-pilote est offert de façon optionnell­e aux étudiants en médecine de deuxième année. Douze d’entre eux y sont présenteme­nt inscrits.

On doit cette idée à Emmanuelle Marceau-Ferron, aujourd’hui stagiaire en médecine. Déjà, au début de ses études, le quotidien des patients la préoccupai­t. « En tant qu’étudiante, c’est très stimulant et formateur lorsqu’on peut observer les médecins pendant leur journée de travail. Alors, pourquoi ne pas aussi aller voir du côté des patients ? » remarque-t-elle. Se glisser dans la peau d’un malade, même momentaném­ent, a de quoi motiver les étudiants, confirme le docteur Karazivan, car « il suffit d’une rencontre avec un pa- tient pour retrouver un sens à la formation en médecine qui est si exigeante », dit-il.

Ce projet-pilote s’inscrit dans la lignée du concept de patient-partenaire, où le malade ne joue plus un rôle passif, mais devient un collaborat­eur clé des profession­nels de la santé pour cheminer vers sa guérison. « À l’université, on suit des cours théoriques sur le patient-partenaire; mais, en l’observant sur le terrain, on le comprend encore mieux », poursuit Emmanuelle Marceau-Ferron.

« Le simple fait d’attendre pendant deux heures sur une chaise d’hôpital avec un patient sensibilis­e énormément nos étudiants. Ils nous le confirment d’ailleurs, affirme Philippe Karazivan. En ayant vécu cette situation, la prochaine fois que l’un d’eux sera en retard, il sera plus enclin à s’excuser auprès de son patient. Si ce

dernier perçoit le profession­nalisme, cela peut changer bien des choses dans la relation patient-médecin. » Selon lui, les étudiants en médecine sont remplis de bonne volonté, mais il constate une baisse d’empathie au cours de la troisième année de formation, tant à l’Université de Montréal que dans d’autres facultés. Une étude publiée en 2009 dans Academic Medicine par des chercheurs américains du Jefferson Medical College va également dans ce sens. Il y a un déclin significat­if de l’empathie en troisième année, alors que c’est la période où, paradoxale­ment, les jeunes médecins commencent à s’impliquer davantage dans les soins prodigués aux patients.

Pourtant, l’empathie clinique devrait faire partie de l’arsenal du médecin, car de multiples bienfaits en découlent. Des chercheurs allemands ont conclu dans une étude publiée par Patient Education and Counseling que « l’empathie semble déterminan­te, car elle permet au médecin de s’acquitter plus efficaceme­nt de ses tâches, améliorant du même coup la santé des patients ».

Si la personne soignée se sent en confiance avec son médecin, les chances de réussite de son traitement sont plus élevées. « Par exemple, un individu souffrant de maladie chronique sera plus prompt à suivre les indication­s du médecin, une fois sorti du bureau, en sachant que celui-ci comprend ce qu’il vit », explique Annie Descoteaux, gestionnai­re de projets à la DCPP.

Pour l’instant, Philippe Karazivan estime que les résultats préliminai­res sont encouragea­nts : « On voit sur le terrain que ça fonctionne et que ça change les choses. Peut-être qu’on pourrait suivre ces étudiants afin d’observer les effets à plus long terme. »

Et qu’en disent les patients ? Alexandre Grégoire est un habitué des longs rendez-vous médicaux, lui qui est atteint de fibrose kystique et qui a reçu une transplant­ation. Il sera bientôt jumelé à un étudiant, une occasion pour lui d’échanger sur les inquiétude­s qui l’habitent. « Je pourrais partager mon angoisse à l’idée de rencontrer les médecins et de savoir si ma santé s’est améliorée ou non. Si l’étudiant est sensible à ma perspectiv­e, cela peut aussi rendre ses soins plus humains ! » pense-t-il.

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