Suppléments coûteux, e et zéro
Pot
de gélules d’oméga-3 extrafort : 22 $. Cachets de sels minéraux : 6 $. Comprimés de multivitamines : 30 $. Capsules de fibres : 21 $. Trois cents pilules de glucosamine : 13 $. Poudre de protéines : 24 $.
Il suffit de passer devant les étalages de la pharmacie pour réaliser que le marché des suppléments alimentaires est florissant : 133 milliards de dollars US en 2016 à l’échelle planétaire, selon la firme Zion Market Research qui prévoit que ce chiffre gonflera à 220 milliards d’ici quatre ans. Presque 100 milliards de dollars de plus en suppléments alimentaires, vous imaginez ?
Si tous les consommateurs en avaient vraiment pour leur argent, ils devraient collectivement péter de santé. Mais dès qu’on y regarde d’un peu plus près, on réalise que les prétentions de l’industrie du supplément reposent rarement sur des preuves scientifiques.
Prenez la fameuse glucosamine qu’on essaie de nous vendre à la télé comme un produit miracle pour les douleurs articulaires. En 2010, dans le British Medical Journal, une revue de la littérature scientifique a conclu : « Comparée au placebo, la glucosamine, la chondroïtine et leur combinaison ne réduisent pas les douleurs articulaires (aux genoux et à la hanche). Les autorités sanitaires et les assureurs ne devraient pas couvrir le coût de ces préparations. » Plusieurs autres essais cliniques et méta-analyses vont dans le même sens, mais cela ne semble pas émouvoir les fabricants.
Et qu’en est-il des suppléments de vitamines et de minéraux ? « Les résultats d’essais cliniques randomisés à grande échelle démontrent que, pour la majorité des gens, il n’y a aucun bénéfice à prendre des suppléments [de multivitamines] », lisait-on en 2012 dans l’International Journal of Preventive Medicine.
Les omégas-3, alors ? En 1971, cela semblait très prometteur après qu’une étude publiée dans The Lancet eut trouvé de fortes concentrations de ces gras insaturés chez 130 Inuits du Groenland, lesquels avaient peu de problèmes cardiaques malgré une diète très riche en gras. Mais quand, en 2016, le ministère américain de la Santé a fait le tour des essais cliniques récents, il a surtout trouvé une longue série de « preuves insuffisantes », de « différences non significatives » et même de « preuves d’absence d’effet ».
Le cas des oméga-3, disons-le, tombe dans une zone un peu plus grise. Dans les essais cliniques, leur effet préventif pourrait passer inaperçu, puisque les médicaments pour réduire le cholestérol sont désormais très efficaces. Malgré tout, plusieurs grandes agences de santé publique continuent de recommander la consommation d’oméga-3. Cela dit, le doute plane.
En règle générale, la recherche démontre que toutes ces belles pilules ont des effets bénéfiques pour les gens ayant de graves carences alimentaires. Mais dans une société d’abondance comme la nôtre, cela ne concerne pas grand monde, même s’il y a des gens pour qui cela reste utile. Les personnes très âgées qui digèrent mal peuvent manquer de certains nutriments, par exemple. Le hic, c’est que ce ne sont pas ces gens-là qui en achètent le plus. Loin de là. D’après Statistique Canada, environ 40 % de la population canadienne consomme des suppléments – le tiers des hommes et près de la moitié des femmes. Pour la très grande majorité d’entre eux, c’est de l’argent jeté par la fenêtre.
Comme me le disait récemment JeanPierre Després, de l’Institut de cardiologie et de pneumologie de l’Université Laval : « Avant de fendre les cheveux en quatre pour essayer de trouver le bon supplément, il faudrait commencer tout simplement par manger un peu moins de cochonneries, et un peu plus de fruits et de légumes. [...] Ça ne veut pas dire d’arrêter de manger du sucré et des frites. Ça signifie qu’on peut faire un grand bout de chemin juste en en mangeant moins. »
Et il me semble, en effet, qu’il y a de meilleures façons de dépenser 133 milliards de dollars…