LE BITCOIN, CE GOUFFRE ÉNERGÉTIQUE
La monnaie virtuelle bitcoin consomme autant d’électricité, à l’échelle mondiale, que 1,2 million de Québécois.
La monnaie virtuelle consomme autant d’électricité, à l’échelle mondiale, que 1,2 million de Québécois.
Les ordinateurs derrière le bitcoin – cette monnaie numérique, anonyme et décentralisée – utilisent plus de 20 térawattheures ( TWh) d’électricité par année. C’est autant que ce que le barrage hydroélectrique La Grande-3 produit, ou que 100 millions d’ampoules consomment. Et toute cette énergie n’est pas propre.
Cette estimation provient de New Energy Finance, une division du groupe financier Bloomberg. Elle est calculée en considérant une forte demande pour le bitcoin, comme c’était le cas vers la fin de 2017.
« Ces chiffres sont très difficiles à évaluer, commente Michel
Berne, économiste à l’Institut Mines-Télécom en France. Toutefois, même si on divise ces estimations par trois ou par quatre, la consommation en électricité du bitcoin reste énorme. »
En fait, il est si énergivore que, en janvier, la Chine a fait comprendre aux « mineurs », c’est-à-dire les individus ou les entreprises qui valident les transactions de bitcoins sur le réseau, qu’ils n’étaient plus les bienvenus au pays. Les autorités sont inquiètes de la consommation d’énergie engendrée par le bitcoin, mais aussi de l’instabilité de son cours. Jusqu’à récemment, les trois quarts des mineurs étaient établis en Chine, où l’électricité est bon marché et provient majoritairement de centrales au charbon. Plusieurs entreprises songent maintenant à se relocaliser; et plusieurs s’intéressent à l’hydroélectricité québécoise.
MONNAIE VIRTUELLE, CONSÉQUENCES RÉELLES
Toutes les transactions effectuées avec des bitcoins sont consignées dans un registre virtuel hautement sécurisé appelé la « chaîne de blocs ». « Elle permet aux utilisateurs du bitcoin de s’entendre sur l’état des comptes de tout le monde, sans devoir faire confiance à une institution centrale, comme une banque par exemple », explique Alain Tapp, professeur d’informatique à l’Université de Montréal. Chaque nouvelle transaction soumise au réseau est validée par l’entremise d’un calcul informatique long et ardu, effectué par les mineurs. Le premier qui découvre la combinaison adéquate obtient 12,5 bitcoins – une rétribution qui valait 300 000 $ en décembre 2017. Cette étape du protocole empêche que des tricheurs ne modifient le registre à leur guise. Cependant, elle transforme le réseau en un véritable gouffre énergétique parce qu’il faut répéter le calcul un nombre astronomique de fois avant de trouver la solution, d’où l’importante consommation d’électricité. « Le bitcoin est une techno- logie incroyable, mais ses conséquences environnementales sont graves », déplore Michel Berne.
Pierre-Luc Quimper, cofondateur de Bitfarms, connaît cette chanson. L’entreprise établie au Québec, qui emploie près d’une centaine de personnes, est l’un des plus gros mineurs en Amérique du Nord. M. Quimper tient à alimenter ses centrales informatiques avec de l’énergie propre. Il reconnaît que la province est attrayante pour les mineurs chassés de Chine : l’électricité y est à bon prix et les températures y sont relativement froides, ce qui diminue les besoins en climatisation des salles de serveurs. Il convient que la grande consommation d’énergie du bitcoin est un « enjeu important » qui pourrait même provoquer un glissement vers d’autres monnaies virtuelles moins gourmandes en électricité. « Chose certaine, nos installations sont polyvalentes et pourront s’adapter aux changements. »
Assurément, la question de l’énergie pousse à la réflexion. « On a tendance à dématérialiser toutes nos activités, en croyant que c’est meilleur pour l’environnement. Peut-être pas, remarque Michel Berne. Ces technologies ont souvent des contraintes cachées qu’on ne voit pas lors de leur conception. »
Pour sa part, Alain Tapp croit que la consommation électrique du bitcoin est insoutenable, que l’énergie soit renouvelable ou pas. « On demande aux gens de brûler de l’argent, avance-t-il. Vous pouvez appeler ça de l’électricité ou des ressources informatiques, mais c’est de l’argent ! » Selon lui, d’autres cryptomonnaies pourraient régler ce problème structurel. L’avenir du bitcoin s’annonce sombre…