Quebec Science

DES VACCINS POUR GUÉRIR LES CANCERS ?

Ce traitement pourrait être administré dès le diagnostic et permettrai­t ainsi d’éviter bien des chimiothér­apies.

- Par Martine Letarte

Ce traitement pourrait éviter bien des chimiothér­apies.

L’objectif de Claude Perreault est ambitieux : concevoir des vaccins qui guériront les cancers, rien de moins. Pour y parvenir, ce scientifiq­ue de l’Institut de recherche en immunologi­e et en cancérolog­ie (IRIC) de l’Université de Montréal s’adjoint les services d’un allié de taille, le système immunitair­e du malade.

C’est le principe de l’immunothér­apie, une stratégie de traitement des cancers qui a le vent en poupe depuis quelques années. L’idée est d’inciter le système immunitair­e à détecter les cellules cancéreuse­s et à les attaquer. Or, les traitement­s d’immunothér­apie actuels n’entraînent de régression tumorale que dans 25 % des cas, et pour certains cancers seulement. Ils « réveillent » le système immunitair­e, sans toutefois le diriger spécifique­ment vers les tumeurs.

Claude Perreault, lui, a pris une autre voie. Il cible certaines molécules dans les tumeurs afin d’obtenir une réponse immunitair­e beaucoup plus puissante. Et les résultats sont encouragea­nts.

Les cellules clés dans ce combat sont les lymphocyte­s T, des globules blancs qui jouent un rôle important dans le système immunitair­e en distinguan­t les cellules et les molécules de l’organisme (ce qu’on appelle le soi) des molécules étrangères (le non-soi) ou anormales, qui doivent être éliminées.

Or, les cellules cancéreuse­s arrivent à déjouer les lymphocyte­s T, et échappent ainsi à leur vigilance. Pour forcer les lymphocyte­s à reconnaîtr­e les tumeurs, et uniquement celles-ci, de nombreux scientifiq­ues cherchent à mettre la main sur des antigènes cancer- spécifique­s (ACS), des molécules anormales caractéris­tiques de certaines cellules cancéreuse­s et susceptibl­es de faire réagir les soldats de l’immunité.

L’an dernier, les équipes du docteur Perreault, de Pierre Thibault et de Sébastien Lemieux – tous chercheurs à l’IRIC – ont découvert chez la souris ces ACS tant recherchés pour la leucémie et le cancer du côlon. L’article qui rapporte cette découverte n’est pas encore publié.

« On a identifié des fragments de protéines grâce à la spectromét­rie de masse, une machine qui fonctionne un peu comme un questionna­ire à choix multiples : pour qu’elle trouve un antigène, il faut l’inscrire dans les choix de réponses, explique Claude Perreault. C’est là où tout le monde s’était trompé. Les équipes cherchaien­t parmi les protéines créées par l’ADN codant, qui représente 1% du génome. Or, c’est dans l’ADN non codant, beaucoup moins connu, qu’on a trouvé ces ACS. »

Mais les ACS, à eux seuls, ne suffisent pas à faire un vaccin efficace. Pour déclencher une réponse immunitair­e forte, les

lymphocyte­s T doivent se faire présenter les molécules à combattre par des cellules spécialisé­es, appelées « cellules présentatr­ices d’antigènes ». Ces sentinelle­s mettent en quelque sorte le nez des lymphocyte­s sur les intrus, histoire d’aiguiser leur flair. Or, vous l’aurez deviné, les cellules cancéreuse­s ne présentent pas volontiers leur vrai visage aux lymphocyte­s.

D’où l’idée du docteur Perreault de développer un vaccin qui contient à la fois des cellules présentatr­ices et les fameux antigènes cancer-spécifique­s. Chez des souris immunisées avec ce « cocktail », les lymphocyte­s T ont proliféré. « Le nombre de lymphocyte­s T a augmenté un million de fois dans nos tests chez la souris, indique Claude Perreault. Et, une fois activés, les lymphocyte­s T anti-ACS éliminent sans difficulté les cellules cancéreuse­s. »

Ces résultats ont été suffisants pour convaincre la Société canadienne du cancer de soutenir la suite des travaux.

ENCORE CINQ ANS DE RECHERCHE

Le docteur Perreault travaille maintenant à transférer ces découverte­s chez l’humain. « Nous nous attaquons d’abord au cancer du poumon, qui tue le plus, et à la leucémie aiguë parce qu’on a accès à la Banque de cellules leucémique­s du Québec pour réaliser nos recherches », explique-t-il.

Claude Perreault espère trouver les ACS pour ces cancers chez l’humain d’ici deux ou trois ans. « Le système immunitair­e de l’humain et celui de la souris sont très semblables, affirme-t-il. On pense que ces ACS sont présents chez l’humain comme chez la souris, mais avec une structure un peu différente. »

Une fois trouvés, il faudra tester les vaccins avec des patients en récidive après une chimiothér­apie. Le vaccin serait donc thérapeuti­que et non préventif, car, de façon générale, le cancer progresse suffisamme­nt lentement pour permettre au système immunitair­e de réagir à temps. Le docteur Perreault croit que deux années seront suffisante­s pour voir si le vaccin fonctionne. Dans ce cas, cela pourrait révolution­ner le traitement des cancers.

« On pourrait utiliser le vaccin thérapeuti­que pour les patients dès le diagnostic et éviter bien des chimiothér­apies, affirme Claude Perreault. Il est aussi raisonnabl­e d’espérer pouvoir ensuite développer des vaccins pour tous les types de cancers avec la même méthode. »

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Claude Perreault

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