Quebec Science

HÉRITAGE INDÉSIRABL­E

Le grand ménage des eaux souterrain­es contaminée­s dans le secteur de l’autoroute Bonaventur­e, à Montréal, a débuté il y a quelques mois. Une visite s’imposait.

- Par Alice Mariette

Opération nettoyage dans le secteur de l’autoroute Bonaventur­e où les eaux souterrain­es sont contaminée­s.

Àpremière vue, rien n’y paraît. Mais, sous l’autoroute Bonaventur­e et sous les berges à proximité où je me trouve, se décomposen­t des chaussures, du bois, du béton, du papier et même des hydrocarbu­res pétroliers! C’est que, de 1866 à 1966, le littoral du Saint-Laurent dans ce secteur était un site d’enfouissem­ent non confiné et peu réglementé. « À l’époque, il n’y avait pas de normes, si ce n’est “pas trop de rats et pas trop d’odeurs” », raconte Martin Chiasson, directeur environnem­ent chez Les Ponts Jacques Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI), la société d’État fédérale copropriét­aire des lieux avec la Ville de Montréal (qui y possède un terrain).

Pour bloquer la migration de ce beau cocktail de contaminan­ts toxiques vers le fleuve, la PJCCI a lancé en juin 2016 le projet environnem­ental Solution Bonaventur­e, conjointem­ent avec le ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC). Ce n’est pas du luxe, particuliè­rement pour la zone ouest qui se situe autour du pont Champlain et jusqu’au pont Victoria. « Ici, 100% de l’eau souterrain­e est contaminée », lance d’emblée Jean Paquin, vice-président technologi­e chez Sanexen, l’entreprise partenaire pour le secteur ouest du projet.

Cette toxicité est notamment due à l’azote ammoniacal, très dangereux pour la vie aquatique. « De nombreux contaminan­ts taxent le métabolism­e des poissons de façon évolutive, alors que la présence d’ammoniac les tue carrément »,

explique Sébastien Sauvé, professeur au départemen­t de chimie de l’Université de Montréal, qui n’est pas impliqué dans le projet. Les analyses sur le terrain ont aussi révélé la présence d’hydrocarbu­res polycycliq­ues (HAP) et de métaux dissous dans les eaux souterrain­es. Il était donc nécessaire de les traiter, notamment pour protéger les poissons du fleuve.

Le centre de traitement de la zone ouest est un petit bâtiment anonyme qui semble perdu en plein milieu des travaux du pont Champlain. Il est d’ailleurs un peu complexe de s’y rendre en ce moment: il faut avant tout parcourir un labyrinthe formé par les immenses poutres du futur pont stockées tout autour ! Mais, heureuseme­nt, le système est automatisé et une présence quotidienn­e n’est pas requise. Les responsabl­es y ont accès à distance

et sont alertés en cas de problème.

À l’intérieur, les machines tournent à plein régime, à toute heure du jour et de la nuit. Les bidons plus ou moins grands, les tubes colorés et les filtres se côtoient dans un bruit de fond constant: l’eau suit ici son chemin de décontamin­ation. Elle y est transporté­e grâce à 32 puits de pompage. « L’idée est qu’aucune goutte d’eau ne passe à travers la barrière hydrauliqu­e pour se diriger vers le fleuve », explique Jean Paquin en indiquant, depuis l’entrée du bâtiment, les 1,2 km de puits enfouis le long de la berge. Cette eau subit une première étape de mise en contact avec de l’oxygène, puis passe à travers différents filtres qui éliminent des matières en suspension. C’est ensuite au tour du réacteur biologique, situé à l’extérieur de l’immeuble, d’entrer en action pour capter l’azote ammoniacal.

Ces différente­s étapes réduisent les matières en suspension d’environ 40 ppm (parties par million) à 15 ppm. Une baisse visible à l’oeil nu, si l’on se fie aux différents prélèvemen­ts effectués au moment de ma visite.

Concernant l’ammoniac, le système permet d’abaisser la concentrat­ion de 50 mg/ L à moins de 3 mg/ L, un taux qui dépend de la températur­e de l’eau et de son acidité (pH). « Ce taux est raisonnabl­e dans un milieu urbain, sachant qu’il n’y a pas de puits destinés aux habitation­s. Mais pour protéger un environnem­ent sensible, il faudrait viser encore plus bas », indique le professeur Sauvé.

Par ailleurs, près de l’entrée du bâtiment, plusieurs filtres, tuyaux et petits bidons servent à la recherche et au développem­ent. Avec cette installati­on, Sanexen espère trouver une technologi­e plus efficace de réduction de l’azote ammoniacal. C’est un besoin notamment pour les mines, où l’azote ammoniacal est en grande partie responsabl­e de la toxicité des effluents. « Nous voulons améliorer la performanc­e et être capables de traiter l’eau, même à de très basses températur­es, pour des régions comme l’Abitibi-Témiscamin­gue », explique Jean Paquin.

À la fin du processus de décontamin­ation, l’eau, qui n’est plus toxique pour les poissons, est enfin envoyée vers le Saint-Laurent.

STOPPER LES HYDROCARBU­RES

Du côté est, entre les ponts Clément et Victoria, la présence d’hydrocarbu­res pétroliers contaminés aux biphényles polychloré­s (BPC) a été détectée et estimée à 650000L. L’huile flotte sur la nappe d’eau souterrain­e depuis des décennies. « Minimiser les BPC est nécessaire, puisqu’il s’agit de composante­s cancérigèn­es, mais aussi volatiles », avertit le professeur Sauvé.

Il n’a pas été possible de visiter ce secteur, puisque les installati­ons se trouvent sous terre. Seules les deux petites stations de pompage situées aux extrémités du site sont visibles. Ici, c’est un mur de confinemen­t de plus de 900m et composé de 128 puits qui permet de stopper la migration des hydrocarbu­res pétroliers – lesquels sont présents sous l’autoroute – vers le fleuve. Une fois récupérés, ceux-ci sont transporté­s par camion dans un centre de traitement.

Il reste tout de même une inconnue dans cette équation: quand serons-nous définitive­ment débarrassé­s de cet héritage toxique? Peut-être jamais. Ou à tout le moins, ce ne sera pas avant plusieurs décennies, estime l’équipe du projet.

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1 Pendant un siècle, cette zone fut un site d’enfouissem­ent où se décomposen­t encore des détritus et des hydrocarbu­res qui polluent les eaux souterrain­es. 2 Récupérati­on d’hydrocarbu­res contenant des biphényles polychloré­s (BPC).

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