Quebec Science

Le glyphosate, du labo à l’étang

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Lessemence­s Round-Up Ready, qui ont été génétiquem­ent modifiées pour résister à un puissant herbicide, le glyphosate, sont-elles bonnes ou mauvaises pour l’environnem­ent ? Demandez à un « antiOGM » et il vous répondra que l’arrivée de ces semences sur le marché a fait exploser les quantités de glyphosate épandues dans les champs, ce qui est vrai. Demandez à un « pro- OGM » et il vous dira que le glyphosate est beaucoup moins toxique que les herbicides qu’il a remplacés, ce qui est aussi vrai.

Dans la sphère publique, le débat s’arrête habituelle­ment là. Ce qui est bien dommage, parce que c’est justement ici que ça devient vraiment intéressan­t.

En principe, les herbicides à base de glyphosate ne devraient pas avoir d’effet sur les vertébrés parce qu’ils ciblent une partie des cellules végétales qui n’ont pas d’équivalent chez les animaux. Cependant, au cours des 15 dernières années, de nombreuses expérience­s en laboratoir­e ont démontré que le Round-Up – pas juste le glyphosate, qui est l’ingrédient actif de la formule, mais aussi les autres ingrédient­s qui entrent dans sa compositio­n – était clairement nocif pour plusieurs espèces de grenouille­s, entre autres.

Maintenant, cette histoire prend une tournure particuliè­re quand on sort du labo et que l’on teste le Round-Up en milieu naturel. A priori, on s’attendrait à observer la même nocivité que celle mesurée dans des vivariums universita­ires. Mais voilà, dans de vrais étangs, la toxicité du Round-Up disparaît presque complèteme­nt.

Il faut savoir que les laboratoir­es sont très utiles pour mesurer le potentiel de toxicité d’une substance parce qu’ils offrent des conditions contrôlées qui isolent l’effet d’une seule variable. Mais ces conditions ne se retrouvent jamais dans la nature, explique explique Vance Trudeau, chercheur en toxicologi­e environnem­entale de l’Université d’Ottawa.

Voilà pourquoi ses collègues et lui testent l’effet de divers produits sur les écosystème­s à l’aide d’une installati­on fascinante nommée Longterm Experiment­al Wetland Area (LEWA), située au Nouveau-Brunswick, qui est un réseau d’étangs et de milieux humides de 6 km2. En 2009 et 2010, M. Trudeau et son équipe ont divisé en moitiés trois étangs, chacune des moitiés restant parfaiteme­nt étanche par rapport à l’autre. Des quantités égales d’oeufs de rainette des bois ont été introduite­s de chaque côté, puis les chercheurs ont ajouté du Round-Up dans l’une des deux moitiés, à des concentrat­ions équivalent­es à ce qu’on trouve dans des régions agricoles.

En fin de compte, les effets étaient faibles ou inexistant­s. « Les résultats donnent peu de raison de penser que l’exposition à cet herbicide affecte l’abondance, la croissance et le développem­ent des têtards de la rainette des bois », lit-on dans un article de M. Trudeau publié en 2013 par Aquatic Toxicology. Pourquoi ? Cela reste à élucider. Peut-être que l’herbicide est dégradé par l’activité bactérienn­e très forte des étangs ou par l’action des ultraviole­ts; on ne sait.

Cela ne veut pas dire que les effets observés en labo ne se réaliseron­t jamais, avertit

M. Trudeau. « En Argentine, par exemple, ils utilisent des quantités énormes de Round-Up. J’ai des amis qui sont en train d’en étudier les effets; ils n’ont pas encore publié leurs résultats, mais des indices montrent qu’on pourrait avoir des problèmes ici si on augmente de beaucoup notre utilisatio­n de cet herbicide », dit-il.

Pour l’heure, on n’a pas atteint ce point au Canada. Mais comme les ventes de glyphosate continuent d’augmenter, peut-être que de mauvaises surprises nous attendent à plus ou moins long terme.

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JEAN-FRANÇOIS CLICHE @clicjf
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