DOSSIER EXPLORATION SPATIALE
Toutes ses aventures professionnelles l’ont conduit vers un seul et même point : l’espace. Retour sur le parcours sans détour de l’astronaute David Saint-Jacques.
L’espace en fait rêver plus d’un, à commencer par l’astronaute David Saint-Jacques qui, en décembre 2018, quittera la Terre pour rejoindre la Station spatiale internationale (SSI). Dans ce dossier, nous nous intéressons aussi à la reconquête de la Lune, aux prochaines missions qui visiteront entre autres Mars et Mercure, à la recherche menée à bord de la SSI et à la privatisation de l’espace. Préparez-vous au décollage!
T Vêtu de la combinaison bleue des astronautes canadiens, David SaintJacques est tout sourire en présentant aux journalistes venus le rencontrer à l’Agence spatiale canadienne, à Saint-Hubert, les expériences scientifiques qu’il effectuera dans l’espace. Nous sommes en novembre 2017 et le compte à rebours pour sa mission, qui décollera en décembre 2018 pour une durée de 6 mois, est bel et bien commencé.
Affable et chaleureux, il semble prendre plaisir à l’enchaînement interminable d’entrevues qui suit sa présentation, et fait rigoler tout le monde en imitant le bruit d’une cassette qui se rembobine quand on lui demande de répéter une réponse pour les besoins de la caméra. Lorsque mon tour arrive, je lui montre un cube Rubik nouveau genre, car j’ai entendu dire qu’il emportera dans l’espace celui que son père lui a donné quand il était enfant.
En voyant mon cube tout argenté aux faces de tailles différentes, il rit, le prend dans ses mains et lance : « Ça doit être difficile à résoudre… je vais l’essayer ! »
Un cube Rubik bizarre ne fait pas peur à celui qui flottera bientôt à plus de 330 km au-dessus de nos têtes. Il ne recule devant rien, selon son ami d’enfance Nicolas Tittley, qui a grandi dans la maison voisine de la sienne à Saint-Lambert, près de Montréal. « Les obstacles n’existent pas pour lui, il y a seulement des défis qui doivent être relevés. »
Et il les relève avec brio. « Intelligent », « inspirant », « humble » diront ses amis et collègues pour décrire le personnage. Il s’exprime aussi bien en français qu’en anglais, maîtrise le russe, connaît les rudiments du japonais, sait jouer de la flûte japonaise et a déjà fait partie d’une équipe d’aviron et d’une troupe de théâtre amateur.
Bardé de diplômes (dont deux doctorats), il aurait très bien pu devenir un ingénieur en physique hors pair, un excellent astrophysicien, un pilote d’avion ou, encore, poursuivre une carrière de médecin. Mais il a choisi les étoiles et la profession d’astronaute il y a de cela neuf
ans, un rêve qui l’anime depuis qu’il est petit, alors qu’il contemplait les photos de la Terre prises depuis la Lune.
DESTINÉ À DEVENIR ASTRONAUTE
Déterminé et travailleur, le jeune David est poussé par une soif infinie de connaissances, stimulée par ses parents, tous deux professeurs; son père en physique et sa mère, en histoire. « Ses parents l’ont toujours encouragé à trouver les réponses par lui- même » , indique Nicolas Tittley.
Il se souvient de sa curiosité naturelle. « Déjà, à l’école primaire, il m’expliquait le fonctionnement de la télévision. Une télé, ce n’est pas assez pour lui de la regarder ! David doit savoir ce qu’il y a derrière. Il possède encore cette capacité d’assimiler de nouvelles notions et techniques. »
Vers la fin du secondaire, pendant que la majorité des jeunes traversent leur crise d’adolescence, David est plutôt investi dans la fabrication de sa propre planche à voile. « On était dans les années 1980, bien avant le début d’Internet. Il a lu des magazines [NDLR: il était d’ailleurs abonné à Québec Science] et des livres pour comprendre comment ça flotte. Il a rassemblé du bois, de la mousse et de la fibre de verre pour la construire », dit son ami Nicolas. Habile de ses mains, David prend aussi plaisir à réparer son vélo et une vieille voiture Triumph.
Au début de la vingtaine, il assiste à
une conférence de l’astronaute canadien Steve MacLean qui revient d’un séjour spatial. Le jeune David lui demande s’il a un conseil à lui prodiguer pour pratiquer le même métier. Selon Steve MacLean, il n’y a pas de recette, mais les explorateurs de l’espace ont une chose en commun : ils sont tous des gens heureux et accomplis. « Il m’a suggéré de trouver un domaine qui me passionne et d’y être le meilleur. Ce n’est pas grave si je ne deviens pas un astronaute, m’avait-il dit alors, car je serai au moins épanoui », raconte David Saint-Jacques.
À l’époque où l’Agence spatiale canadienne lance sa troisième campagne de recrutement en mars 2008, il travaille comme médecin au Nunavik, dans la communauté de Puvirnituq. À la suggestion d’une collègue, il tente sa chance afin de vivre son rêve de jeunesse.
Son entourage n’est guère surpris quand il soumet sa candidature et parvient aux dernières étapes de sélection, toutes plus difficiles et exigeantes les unes que les autres. Au printemps 2009, il ne reste que 16 candidats potentiels, qui se retrouvent ensemble dans un bar, où vient les rejoindre David Gentile, vieil ami de David Saint-Jacques. Autour d’un verre, l’un des aspirants astronautes confie à M. Gentile: « Il y a David Saint-Jacques et il y a nous autres. Il est dans une catégorie à part. »
Surdoué, oui, mais pas agaçant pour autant. « Il est exceptionnel et en même temps, il n’impose pas son immense savoir », confirme Nicolas Tittley qui l’a choisi pour être le parrain de son fils. Mieux, sa curiosité naturelle le pousse à s’intéresser à tout un chacun.
« Ce n’est pas un masque de superhéros avec un sale type caché derrière ! assure David Gentile. Ce gars-là possède beaucoup d’intelligence émotionnelle, il prend le temps de s’informer sur toi et c’est sincère; ce n’est pas juste un faux-semblant. »
En mai 2009, l’Agence spatiale canadienne arrête finalement son choix sur David Saint-Jacques et Jeremy Hansen, ce dernier originaire de London, en Ontario. Ils ont été accueillis à bras ouverts au Centre spatial Lyndon B. Johnson, à Houston, par des vétérans tels que Chris Hadfield, Julie Payette et Robert Thirsk. « Ils ont tous contribué à leur manière à être nos modèles, mais j’ai particulièrement bénéficié des conseils de Chris Hadfield qui s’entraînait pour sa mission. J’ai eu la chance de le suivre en Russie et d’apprendre à ses côtés le fonctionnement de la capsule Soyouz », se souvient David Saint-Jacques.
Comme toujours, il s’est investi à 100% dans sa formation pour devenir un astronaute accompli : entraînement en apesanteur, maniement du bras robotisé canadien, exercices de sorties dans l’espace en scaphandre, maîtrise du fonctionnement des instruments à bord de la Station spatiale internationale (SSI), etc. L’astronaute Jeremy Hansen souligne la diversité des tâches à exécuter en orbite. « À un moment, tu es en train de faire une Pour contrer les effets indésirables de l’espace, David Saint-Jacques se soumet à un entraînement rigoureux.
expérience scientifique et, 15 minutes plus tard, tu dois réparer la toilette ! »
M. Hansen n’a aucun doute sur les capacités de l’aventurier québécois: « David est quelqu’un de confiant et de très compétent. Mais lorsqu’il sera dans l’espace, sa plus grande épreuve sera probablement de se trouver éloigné de ses proches pendant une si longue période. »
En effet, son épouse Véronique Morin, également médecin dans le Nord canadien et à Houston, et lui ont trois jeunes enfants de sept, cinq et deux ans. D’après David, l’équilibre entre carrière et vie de famille n’est pas toujours facile à établir, mais ils y arrivent. « C’est une occasion de grandir, d’être un meilleur parent, un meilleur couple, un meilleur professionnel, parce que cela donne une valeur aux instants passés avec chacun », réalise-t-il. Son alliance blanche, fabriquée par un artisan inuit avec de l’ivoire de morse, le suivra dans son voyage. Il emportera également des lettres de ses proches et une petite figurine de Tintin dans l’espace, donnée par son filleul.
Heureusement, la technologie à bord permettra à l’astronaute québécois de téléphoner chez lui quand la SSI passera au-dessus de Houston ou du Québec. Bien que la connexion internet n’est pas très
rapide – elle devrait s’améliorer en 2021 avec la mise en place d’une technologie laser – il pourra organiser une conférence vidéo, une fois par semaine, avec sa famille et lire des livres à ses enfants, dont il aura apporté des copies dans la Station.
LABORATOIRE FLOTTANT
Lorsqu’il parle des expériences scientifiques à mener dans l’espace, David SaintJacques ne manque pas de souligner leur utilité sur Terre. « Je m’intéresse particulièrement aux expériences de télémédecine et à la capacité d’autonomie médicale. Je vois directement les retombées qui pourront servir aux communautés éloignées », indique-t-il en évoquant ses frustrations d’avoir eu à envoyer les échantillons depuis le Nunavik jusqu’à Montréal pour obtenir les résultats, une semaine plus tard. Un nouvel instrument, un bioanalyseur, lui permettra de traiter les échantillons sanguins presque en temps réel au cours de sa mission.
Dans l’espace, il mettra en place deux nouvelles expériences, Immuno Profile et Vascular Aging. La première aidera à comprendre l’impact des missions sur l’évolution du système immunitaire pendant les longs séjours à bord de la SSI, tandis que la seconde scrutera notamment les effets de l’apesanteur sur le système cardiovasculaire. « Aller dans l’espace nous fait vieillir un peu, même si on réussit à amoindrir les effets du voyage avec des exercices physiques quotidiens », indique David Saint-Jacques.
Lorsque je lui parle de ses cheveux qui ont pris des teintes de gris depuis ses débuts dans le métier, avant même d’aller dans l’espace, il rappelle qu’une dizaine d’années ont passé. « Je crois que ce sont mes trois enfants qui ont fait ça », réplique-t-il, sourire en coin.
À ces jeunes qui lui disent vouloir faire le même métier que lui, David répond sans hésiter : foncez, ce rêve est réalisable ! « Quand j’étais enfant, je pensais que la carrière d’astronaute était inaccessible, mais ce rêve m’a servi de guide dans la vie. Je me demandais ce qu’un astronaute ferait à ma place. Par exemple, pour bien s’alimenter, est-ce qu’il mangerait des biscuits ou des légumes ? Cela m’a également motivé à rester en forme, à aller à l’université, à devenir un explorateur et à apprendre des langues étrangères. Plus un rêve est grand, fou, incroyable, mieux c’est ! »
Quelques jours après la conférence de presse à Saint-Hubert, je rencontre David Saint-Jacques à nouveau lors d’un événement organisé à Toronto. Il me redonne le cube argenté que je lui avais laissé. « Finalement, c’était facile à faire ! » me lance-t-il, sans une once de suffisance.
Ce n’est rien comparativement au plus grand défi de sa vie qui arrive à grands pas. Si tout se passe comme prévu, le 20 décembre prochain, David Saint-Jacques devrait être là où il a toujours voulu être. Parmi les étoiles, l’instant d’une mission.