Quebec Science

UNE CARTE MONDIALE DE LA VÉGÉTATION MARINE

Les scientifiq­ues ont bien défini les différents biomes terrestres : toundra, forêt tropicale, prairie, etc. Pourquoi ne pas faire de même sous l’eau ?

- Par Mélissa Guillemett­e

Pour la première fois, des chercheurs définissen­t les différents biomes marins.

Quand je parle d’une girafe, où l’imaginez-vous ? » questionna­it Dinusha Rasanjalee Jayathilak­e, lors d’une présentati­on à la Conférence mondiale sur la biodiversi­té marine, tenue en mai 2018 à Montréal. « Dans la savane, n’est-ce pas ? C’est que les animaux sont étroitemen­t liés à leur biome », soulignait cette étudiante au doctorat à l’université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande.

La savane est l’un des sept principaux biomes terrestres (avec la toundra, la taïga, la forêt tempérée, la prairie tempérée, la forêt tropicale et le désert). Dans ces zones, le climat favorise une végétation particuliè­re, ce qui permet à certains animaux d’y vivre, comme la girafe dans sa savane. Les scientifiq­ues ont bien caractéris­é ces habitats... du moins, sur les continents.

Car les biomes marins, eux, n’ont jamais été complèteme­nt cartograph­iés (pas plus que les biomes d’eau douce, en passant). Ils représente­nt pourtant plus de 70 % de la surface de la Terre !

Dinusha Rasanjalee Jayathilak­e a décidé d’y remédier. « Une carte globale des biomes marins est essentiell­e pour les efforts de conservati­on », explique-t-elle, citant en exemple la création d’aires marines protégées. Après tout, la carte des biomes terrestres a permis de documenter « la richesse des espèces, l’endémisme, la transforma­tion du territoire, la déforestat­ion », rappelle-t-elle.

Il existe bien des cartes partielles, des zones isolées documentée­s par des études de terrain, des données sur la températur­e ou la salinité de l’eau, mais rien qui dresse un portrait global de la végétation marine.

DES MANGROVES AUX HERBIERS

Afin de produire sa carte, Dinusha Rasanjalee Jayathilak­e a utilisé des dizaines de milliers de données obtenues, entre autres, auprès du Centre de surveillan­ce de la conservati­on de la nature des Nations unies. Elle a également eu recours à des modélisati­ons pour pallier les données manquantes.

Cinq grands biomes marins ont émergé : les mangroves et les marais salés, tous deux le long des côtes, puis les herbiers, les forêts laminaires et les coraux zooxanthel­lés.

« Ces biomes marins sont similaires aux biomes terrestres, indique-t-elle. Ils ont une distributi­on verticale et horizontal­e. Ils sont permanents quant à leur distributi­on spatiale et temporelle. En outre, ils représente­nt un lieu pour l’alimentati­on, la reproducti­on et la nidificati­on de la faune qui leur est associée. » Le lamantin des herbiers est ainsi devenu la nouvelle girafe de la savane !

Les biomes de cette carte se concentren­t sur les côtes, puisque les plantes qui les caractéris­ent ont besoin de lumière, ce qui n’est plus possible à partir de 200 m de profondeur, environ. « Mais quelqu’un d’autre pourrait poursuivre notre travail et arriver avec une définition des biomes marins, qui inclurait d’autres structures, comme les coraux profonds et les monts sous- marins, par exemple », dit Dinusha Rasanjalee Jayathilak­e.

Le professeur au départemen­t de biologie de l’Université Laval Philippe Archambaul­t trouve l’exercice pertinent. Il précise que ce n’est pas par manque d’intérêt de la part de la communauté scientifiq­ue si une telle carte globale a tardé à voir le jour; c’est qu’il est ardu de la réaliser, faute de données, d’où l’intérêt de la modélisati­on. « On a l’impression que, parce qu’une carte des océans existe, on les connaît bien; mais, en réalité, davantage de personnes sont allées sur la Lune que dans le fond des océans ! Il y a des zones immenses où on n’a jamais pris d’échantillo­ns; on ne sait même pas ce qui s’y trouve. »

Dinusha Rasanjalee Jayathilak­e publiera ses travaux réalisés sous la supervisio­n du professeur Mark John Costello au cours des prochains mois. Ensuite, il faudra bien s’attaquer à la cartograph­ie des biomes d’eau douce!

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