TOUS DE LA MÊME ESPÈCE
Une exposition originale jette un regard scientifique sur le racisme et les préjugés.
Une exposition originale jette un regard scientifique sur le racisme et les préjugés.
D’un point de vue scientifique, la notion de race ne tient pas la route. Nous appartenons tous à la même espèce, Homo sapiens, et nous sommes génétiquement semblables à notre voisin à 99,9 %. Cependant, le racisme sévit toujours dans nos sociétés. Pourquoi? À partir du 15 septembre, le Musée Armand-Frappier, à Laval, répondra à cette vaste question dans une exposition « aux croisements de la biologie et des sciences sociales » : Nous et les autres, des préjugés au racisme. Conçue initialement à l’intention du Musée de l’Homme de Paris, elle a été adaptée pour le Québec. Dans ce but, l’institution s’est entourée d’un comité scientifique, duquel font partie Rachida Azdouz, psychologue spécialisée en relations interculturelles à l’Université de Montréal, et Caroline Ménard, chercheuse en neurosciences à l’Université Laval. Nous les avons rencontrées pour recueillir leurs réflexions.
Québec Science : Qu’est-ce que le racisme ?
Rachida Azdouz : Le racisme est une idéologie qui se fonde sur cette prémisse: il y aurait une hiérarchisation et une différenciation possible entre les populations sur la base de leurs caractéristiques morphologiques.
Un autre mécanisme au coeur du racisme est l’« essentialisation » qui consiste à définir un groupe selon une vision « culturalisante », c’est-à-dire que tout s’explique par l’origine ethnique. Souvent, on prend l’exemple du musulman terroriste ou du Noir paresseux, mais c’est vrai aussi entre des cultures qui sont en apparence proches, comme la France et le Québec. « les Français aiment le conflit » ou que « les Québécois n’aiment pas la chicane ». À chaque groupe, on accole une image.
Évidemment, cette idéologie n’a pas de fondement scientifique. QS Pourtant, la théorie des races a été soutenue pendant longtemps par des scientifiques qui ont finalement réalisé que les différences génétiques entre les groupes ethniques sont infinitésimales. Est-ce un concept difficile à renverser ? Caroline Ménard : C’est comme pour l’autisme et les vaccins [NDLR : un article scientifique de 1998 suggérant un lien entre les deux a été rétracté, mais il recueille encore une très large adhésion au sein de la population]. Il y a toujours quelqu’un qui va s’y accrocher. Le fait que les scientifiques sortent des laboratoires pour déboulonner ces mythes est positif.
QS Encore aujourd’hui, le terme « race » est parfois utilisé dans la littérature scientifique pour décrire les participants à une étude. Pourquoi ?
CM C’est vrai que, du point de vue génétique, certaines populations présentent des mutations différentes. Mais ce n’est pas une « race » distincte pour autant. La couleur de la peau, par exemple, est simplement due aux conditions environnementales.
QS Le terme « race » demeure présent dans la Charte des droits et libertés de la personne. Est-ce un non-sens ?
RA Les juristes, les sociologues et les pédagogues du vivre ensemble ne s’entendent pas sur cette question. Certains pensent que, si la race n’existe pas, il faut la retirer de la Charte qui interdit déjà la discrimination fondée sur la couleur, la religion et l’origine ethnique ou nationale.
Un autre courant dit qu’il faut laisser ce mot, car, si la race n’existe pas, le racisme, lui, existe. Il faudrait donc garder ce terme pour que des personnes puissent ainsi dire : « J’ai été victime de racisme. »
QS Des suprémacistes blancs se sont soumis à des tests génétiques. Quand on détecte chez eux des gènes d’origine autre qu’européenne, ils rejettent les résultats, criant au complot ou à l’erreur. Est-il possible de les raisonner ?
RA Un tel individu pourrait changer sa vision des choses après avoir vécu une expérience affective, par exemple être sauvé par quelqu’un d’une autre origine. Cela remettra en question sa théorie… s’il est honnête.
S’il ne l’est pas, il n’y a rien à faire. Quoiqu’il y a bien des suprémacistes blancs qui, en prison, ont fait un cheminement personnel, et qui, finalement, sont devenus des militants antiracistes.
Pour trouver la bonne façon d’intervenir auprès d’une personne raciste, il faut sonder ses réelles motivations.
QS Justement, outre la croyance en l’existence de races, quelles sont les « raisons » d’être raciste ?
RA L’ignorance et l’expérience. Dans le premier cas, la personne ne sait pas de quoi elle parle. Elle ne connaît pas l’autre et émet des idées préconçues. En l’informant, on peut corriger sa perception erronée. Ce racisme est plus facile à traiter sur le terrain pédagogique. On voit ces personnes dans des tables rondes; elles finissent par dire : « Je te regarde et, finalement, tu es comme moi. »
Certaines personnes sont plutôt racistes parce qu’elles ont vécu une mauvaise expérience. C’est plus délicat, mais il suffit de les exposer à une expérience positive pour changer leur vision. Le parent qui voit défiler chez lui des enfants de toutes les couleurs qui sont polis, alors qu’il les imaginait mal élevés, perdra ses préjugés.
QS Peut- on combattre le racisme par l’éducation ?
RA C’est sûr qu’il faut que l’école éduque et sensibilise. Mais l’éducation n’est pas le seul antidote. Historiquement, les grands théoriciens du racisme et du colonialisme étaient des gens très scolarisés. Ils étaient parfois même de bonne foi, convaincus qu’il fallait aller aider les Africains et les sortir de la sauvagerie.
QS Le racisme existera-t-il toujours ?
RA Il changera de forme et de cible. Dans les sociétés où il y a un dispositif législatif pour interdire le racisme et la discrimination, on n’a plus le droit de traiter quelqu’un de « sale Noir ». Soulignons qu’il y a beaucoup de pays où c’est encore possible de le faire.
Cependant, dès qu’un dispositif législatif est mis en place, le racisme prend des formes plus sournoises. On ne peut plus dire à une candidate : « Je ne t’embauche pas parce que tu portes un hidjab », mais on peut lui dire qu’elle a échoué à l’entrevue…
Le racisme fait partie de nous. Quand on partage un espace avec des personnes qui affichent une différence visible, il est naturel de vouloir se disputer cet espace. D’où l’intérêt des travaux de Caroline sur les souris, car le racisme nous renvoie à notre animalité.
QS Caroline Ménard, qu’est-ce que vos souris peuvent nous apprendre sur le racisme ? CM Dans mon laboratoire, on étudie les
mécanismes liés à l’intimidation sociale chez la souris. Évidemment, on ne parle pas de « racisme », mais on observe chez cette espèce des comportements de dominance et de hiérarchie comme chez l’humain.
Dans le cadre d’une de nos études, les souris expérimentales étaient des Black 6, qui sont petites et noires. C’est la souche la plus couramment utilisée en laboratoire, car elle donne des bêtes très dociles. On les a mises en contact avec des CD-1, de grosses souris blanches au tempérament bouillant que les chercheurs évitent d’utiliser pour ne pas se faire mordre.
On a exposé individuellement les Black 6 pendant 10 minutes à une CD-1. Généralement, cette dernière finissait par mordre sa congénère, surtout qu’on avait sélectionné pour l’occasion les plus agressives. La Black 6, elle, adoptait des comportements de soumission. Ensuite, les deux souris restaient 24h dans la même cage, mais séparées par un « mur » avec des trous transparents, pour qu’elles se voient. Nous avons répété ça pendant 10 jours, de manière à ce que chaque Black 6 voie un nouvel agresseur chaque jour. À la fin, les deux tiers des souris noires étaient déprimées. Évidemment, on ne sait pas si elles ont des idées suicidaires, mais il existe différents tests pour mesurer leur niveau de désespoir. Par exemple, on les met dans un bécher d’eau et on mesure combien de temps elles se débattent pour en sortir. Les déprimées abandonnent plus tôt et cessent de lutter. Mais ne vous en faites pas, je les sauve toujours!
QS À la suite de l’expérience, quel était l’impact du stress social sur les souris ? CM Placées en interaction avec une souris
blanche inconnue, nos petites souris restaient dans un coin. Elles ont développé un apprentissage et se disaient probablement: « Oh non ! une autre grosse souris blanche ! Toutes les autres m’ont mordue. » Or, celle-ci pourrait être très gentille !
En plus de rendre nos souris malheureuses, le stress social a modifié leur biologie : nous avons observé chez elles des changements sur le plan immunitaire et au niveau de la barrière hématoencéphalique [NDLR : qui protège le cerveau].
Dans le cadre de l’exposition au Musée, les visiteurs feront une activité liée à cette expérience.
QS Est-ce que toutes les grosses souris présentaient le même niveau d’agressivité ?
CM Quand on achète 100 souris CD-1 qui sont toutes génétiquement pareilles, une trentaine sont vraiment agressives, une autre trentaine ne seront jamais agressives et celles du dernier tiers auront un comportement variable. On a commencé à comparer le cerveau de chacune et on s’est rendu compte que, pour certaines souris agressives, attaquer la petite souris activait le système de la récompense, soit les mêmes zones du cerveau qui s’enclenchent chez une personne lorsqu’elle mange du chocolat. Elles sont même prêtes à travailler, soit à peser sur un levier, pour pouvoir dominer une autre souris. Défendre son territoire, c’est une chose, mais désirer activement travailler pour pouvoir se battre, c’en est une autre…
QS Est-ce qu’on peut imaginer que le même circuit de la récompense s’active chez certains trolls racistes sévissant sur les médias sociaux ?
CM Il y a probablement des parallèles à étudier chez les gens qui ont des comportements antisociaux.
RA Dans les réseaux sociaux, quand quelqu’un publie un commentaire raciste, la récompense, c’est le « J’aime », le sentiment d’appartenance et l’impression de devenir chef de meute. Il y a donc des récompenses; et pratiquement pas de sanctions. Il faut une plainte pour qu’il y ait sanction. Un processus fort compliqué, car la liberté d’expression est un concept assez large. Pourtant, on sait que, en l’absence de sanction, les gens peuvent aller loin. lQS
L’exposition Nous et les autres. Des préjugés au racisme est présentée au Musée ArmandFrappier, à Laval, à partir du 15 septembre 2018. www.musee-afrappier.qc.ca