Quebec Science

VIE SUR MARS EN AVOIR LE COEUR NET

Destinatio­n favorite des auteurs de science-fiction, Mars et ses Martiens ont alimenté bien des fantasmes. La planète a-t-elle hébergé la vie ? Les scientifiq­ues veulent avoir le fin mot de l’histoire.

- PAR MARINE CORNIOU

Pour explorer Mars, les Terriens n’ont jamais lésiné sur les moyens. Au total, plus de 50 sondes ont été envoyées depuis les années 1960 pour orbiter autour de la planète rouge, la survoler ou s’y poser. La dernière en date, InSight, doit d’ailleurs y atterrir fin novembre pour analyser la compositio­n interne de notre voisine.

En dépit de tous ces efforts, la question de l’existence d’une vie martienne, qui a taraudé des génération­s de scientifiq­ues, n’est toujours pas élucidée. Certes, on n’y a vu ni bonshommes verts ni microbes grouillant­s. D’ailleurs, le professeur à l’Université McGill Lyle Whyte n’y croit plus tellement, depuis qu’il a creusé le pergélisol des vallées sèches de l’Antarctiqu­e, comparable au sol martien, en 2016. « On n’y a trouvé aucun micro-organisme; donc, les chances sont minces », dit ce microbiolo­giste, spécialist­e des environnem­ents extrêmes. Une étude de l’université d’Édimbourg, publiée dans Scientific Reports en 2017, démontrait en outre que l’omniprésen­ce en surface de perchlorat­es, de puissants oxydants, combinée aux UV, a, sur les bactéries, un effet dévastateu­r pire que prévu.

Cela ne veut pas dire que la planète n’a jamais été « habitée ». Les découverte­s les plus récentes, notamment celles du robot Curiosity qui arpente le cratère Gale depuis 2012, laissent penser que Mars a déjà réuni des conditions propices à la vie. « Il y a trois ou quatre milliards d’années, le climat y était plus chaud et plus humide, résume Jorge Vago, responsabl­e scientifiq­ue du projet ExoMars de l’Agence spatiale européenne (ESA). Les conditions étaient plus ou moins identiques aux conditions terrestres. »

D’où cette obstinatio­n des chercheurs à envoyer des instrument­s toujours plus performant­s, en orbite ou au sol, pour fouiller les moindres recoins du désert martien à la recherche de témoins de cette époque perdue. « On a désormais les capacités technologi­ques pour répondre à la question », affirme Richard Léveillé, géochimist­e à l’Université McGill et ancien chercheur à l’Agence spatiale canadienne.

Il fait partie de l’équipe scientifiq­ue de Mars 2020, une mission de la NASA qui lancera un nouveau rover à l’été 2020. « Curiosity cherchait à évaluer l’habitabili­té. Mars 2020 ira plus loin en cherchant des biosignatu­res », c’est-à-dire des éléments qui ne pourraient être expliqués que par la présence, actuelle ou passée, de vie.

Les Américains ne sont pas seuls dans la course. La sonde russo-européenne ExoMars partira au même moment, avec l’objectif principal de déceler des traces de vie passée.

Les sites d’atterrissa­ge des deux rovers seront choisis cet automne. Parmi les candidats en lice, on trouve le fond d’un ancien lac. Car, oui, il y a bel et bien eu de l’eau liquide en abondance sur Mars, peu après sa formation. En 2015, une équipe internatio­nale a même estimé, grâce à l’étude de l’eau présente dans l’atmosphère résiduelle, que Mars avait déjà possédé un océan immense, recouvrant 19% de sa surface. Un lac souterrain d’eau liquide, vestige de cette période « bleue », a même été découvert en juillet 2018 sous la calotte glaciaire grâce à des analyses radar. Enfoui à 1,5 km sous terre, ce lac est probableme­nt saturé de perchlorat­es, mais il laisse croire que la vie aurait pu se réfugier en sous-sol. Si jamais elle a eu le temps d’apparaître… Combien de temps exactement ces conditions clémentes ont-elles persisté ? « C’est ce qu’on essaie de savoir en reconstitu­ant l’histoire climatique, en étudiant le terrain et les roches qui ont dû enregistre­r cette évolution », précise Richard Léveillé qui travaille aussi sur le robot Curiosity qui escalade en ce moment le mont Sharp, situé au centre du cratère Gale, dans ce but.

Selon des chercheurs danois, qui ont étudié la cristallis­ation des minéraux dans une météorite martienne, la croûte solide de Mars se serait formée beaucoup plus rapidement que celle de la Terre. « À peine 20 millions d’années après la formation du Système solaire, Mars pouvait déjà être couverte d’océans, et peut-être abriter la vie », notaient les auteurs dans Nature, en juin 2018.

SECRETS ENFOUIS

Mais comment trouver des indices d’une vie qui s’est peut-être éteinte il y a des milliards d’années? En creusant. C’est du moins ce que suggère l’équipe d’ExoMars, dont le rover de 300 kg est équipé d’une foreuse qui pourra descendre à 2 m de profondeur. Du jamais vu !

« Le problème avec la surface de Mars, c’est qu’il y a énormément de radiations qui détruisent les molécules organiques, indique Lyle Whyte, impliqué dans la sélection du site d’atterrissa­ge d’ExoMars. À 1 m sous la surface, il y en a beaucoup moins. On a donc plus de chances d’y trouver des acides aminés, du glucose, de l’ADN, entre autres choses. »

Ces traces, même si elles ont été produites par des bactéries mortes depuis longtemps, ont des chances d’être intactes. « Le sous-sol martien fonctionne comme un réfrigérat­eur optimal à une températur­e moyenne constante de -60 °C », ajoute Jorge Vago. Le hic, dit-il, c’est que ces molécules organiques pourraient aussi bien être d’origine biologique que d’origine météoritiq­ue n’ayant dans ce deuxième cas rien à voir avec la vie martienne. Dans ses rêves les plus fous, il espère donc que le rover détectera des roches de type stromatoli­tes, formées par l’activité de colonies bactérienn­es.

C’est pour dissiper tous les doutes que l’équipe de Mars 2020 tentera de son côté une manoeuvre incroyable­ment ambitieuse : celle de rapporter des échantillo­ns de sol martien sur Terre avant 2030 – et donc avant qu’une mission habitée soit envoyée là-bas. Le plan, appelé Mars Sample Return, est plutôt complexe. Le rover Mars 2020 en est le premier rouage : il collectera une trentaine de carottes de sol et les déposera dans un endroit sûr. Quelques années plus tard, un atterrisse­ur ira chercher les éprouvette­s et les chargera sur un autre véhicule qui redécoller­a pour les placer en orbite. Finalement, un dernier engin récupérera le tout et le rapatriera sur Terre. « C’est une mission qui est souhaitée depuis longtemps par la communauté scientifiq­ue. Sur Terre, même avec les meilleurs instrument­s, il n’est pas facile de voir les microfossi­les dans des roches vieilles de 3,5 milliards d’années. Beaucoup de chercheurs pensent que les instrument­s miniaturis­és des rovers ne suffiront pas à la tâche, et qu’il faut ramener les roches. Cela dit, les vaisseaux ne sont pour l’instant ni approuvés ni financés », explique Richard Léveillé.

Le projet est risqué et coûteux. Plusieurs scientifiq­ues remettent en question sa pertinence. « Mars 2020 prendra des échantillo­ns à la surface, donc on risque de trouver la même chose que ce que Curiosity a déjà trouvé », commente, sceptique, Jorge Vago. Selon lui, le sous-sol martien est nettement plus intéressan­t. « Avec ses instrument­s de nouvelle génération, ExoMars a la capacité d’y trouver quelque chose de révolution­naire », assure-t-il.

Une chose est sûre, Mars a peut-être été hospitaliè­re, un jour, mais elle ne se laisse pas approcher si facilement. Jusqu’ici, plus de la moitié des missions martiennes ont échoué en totalité ou en partie. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour que les missions de 2020 nous nd éclairent enfin sur cette question.

 ??  ?? L’orbiteur TGO d’ExoMars, lancé lors d’une première phase en 2016, prend des clichés en couleur de la planète rouge. Cette photo, prise le 15 avril 2018, montre le bord du cratère de Korolev, rempli de glace, à côté du pôle nord martien.
L’orbiteur TGO d’ExoMars, lancé lors d’une première phase en 2016, prend des clichés en couleur de la planète rouge. Cette photo, prise le 15 avril 2018, montre le bord du cratère de Korolev, rempli de glace, à côté du pôle nord martien.
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rover ExoMars

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