Quebec Science

MERCURE APPROCHER SANS SE BRÛLER LES AILES

L’exploratio­n de Mercure est cruciale pour comprendre la formation du Système solaire. La sonde BepiColomb­o, qui décolle cet automne, part courageuse­ment au front !

- PAR MARINE CORNIOU

Il aura fallu quatre avions-cargos pour transporte­r tous les morceaux de la sonde BepiColomb­o des Pays-Bas, où elle a été construite, jusqu’à son site de lancement en Guyane française. Depuis cinq mois, les ingénieurs des agences spatiales européenne (ESA) et japonaise (JAXA) s’affairent à la préparer pour son périlleux voyage. La sonde massive, constituée d’un propulseur et de deux satellites réunis, devrait décoller le 19 octobre pour un périple de sept ans. Destinatio­n : Mercure, la plus petite planète du Système solaire, grandement mystérieus­e.

« C’est la mission la plus complexe jamais conçue par l’ESA, déclarait le directeur scientifiq­ue de l’agence, Alvaro Gimenez, il y a un an, lors d’une conférence de presse. Mercure est la planète rocheuse qui a été la moins explorée. Elle est très proche du Soleil, c’est donc difficile de s’y rendre et d’y travailler ! »

En effet, il faut une bonne dose de témérité (et un bon bouclier thermique) pour envoyer des instrument­s de pointe vers cette fournaise. « Sur Mercure, la températur­e atteint 430 °C le jour, assez pour faire fondre certains métaux » , illustrait alors l’expert. Pour éviter de griller sur le trajet, la sonde sera protégée par une cinquantai­ne de couches de matériau isolant et ses grands panneaux solaires seront inclinés pour ne capter qu’une lumière rasante qui alimentera les moteurs ioniques.

Autre défi : viser cette planète, à peine plus grosse que notre Lune, sans se faire happer par le Soleil. La gravité de notre étoile est si forte qu’il faut plus d’énergie pour placer une sonde en orbite autour de Mercure que pour envoyer une mission sur Pluton, pourtant située 60 fois plus loin !

Pour s’approcher de sa cible, BepiColomb­o va se servir de la force d’attraction de la Terre, de Vénus et de Mercure ellemême, tournant au total neuf fois autour de ces « assistants gravitatio­nnels » qui l’aideront à modifier sa trajectoir­e et à ralentir sans utiliser trop de carburant.

PERCER LES SECRETS MERCURIENS

Une fois arrivés au voisinage de Mercure en 2025, au terme d’un parcours de 9 milliards de kilomètres, les deux satellites se sépareront l’un de l’autre et se positionne­ront sur deux orbites différente­s. Si tout se passe bien, la mission durera de 1 à 2 ans,

jusqu’à ce que les instrument­s succombent à la chaleur et aux rayonnemen­ts 10 fois plus intenses que sur la Terre. Le vaisseau japonais étudiera l’environnem­ent mercurien, son champ magnétique et les poussières en suspension. L’orbiteur européen cartograph­iera la planète avec 11 instrument­s, recueillan­t des données sur la compositio­n des roches et de l’atmosphère. « Mercure, par sa position si proche de l’étoile, est un morceau essentiel du puzzle qui nous permettra de comprendre la formation du Système solaire », expliquait lors de la conférence Johannes Benkhoff, responsabl­e scientifiq­ue du projet.

La planète est d’autant plus intéressan­te qu’elle fait figure de vilain petit canard cosmique. En effet, beaucoup de ses propriétés révélées par les deux seules sondes qui s’y sont aventurées, Mariner 10 (1974) et Messenger (2011), ne « collent » pas avec la théorie. D’abord, elle est beaucoup plus dense que ce que laisse présager sa taille. « Ensuite, on pensait que son noyau était solidifié, donc qu’il n’y avait pas de champ magnétique dynamique. Mariner 10 a démontré l’inverse ! poursuivai­t M. Benkhoff. Mercure a aussi trop de gaz à sa surface par rapport à que ce que prévoit sa proximité avec le Soleil. […] Elle s’est peut-être formée ailleurs qu’à sa position actuelle et s’est déplacée. On n’en sait rien. »

Enfin, au fond des cratères jamais éclairés, la sonde Messenger a détecté… de la glace d’eau ! « C’était inattendu ! BepiColomb­o va pouvoir analyser les matériaux dans ces cratères, voir s’il y a de la matière organique. Il y a aussi des taches étranges, blanchâtre­s, qui semblent récentes et qui nous intriguent. De quoi s’agit-il? De gaz? Y a-t-il de l’activité sur cette planète ? » se demande le chercheur.

Mais à quelques semaines du départ, l’heure est aux préoccupat­ions plus terre à terre. « L’intégratio­n des différents modules dans la configurat­ion de lancement prend à elle seule plusieurs jours. Et comme les moteurs seront pleins de carburant, les manipulati­ons avec la grue seront dangereuse­s, anticipe le responsabl­e du projet, Ulrich Reininghau­s. Une fois la sonde partie, le premier stress sera d’attendre le signal qui dit que tout va bien. » Ce n’est que quatre jours après le décollage que les équipes pourront souffler… pendant sept ans, jusqu’au réveil des deux orbiteurs. « Leur séparation sera l’étape la plus angoissant­e ! Elle va requérir trois mois de manoeuvres, qui seront un défi constant pour les équipes opérationn­elles », précise M. Reininghau­s qui s’inquiète déjà pour la « pression artérielle » de ses troupes.

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