La Terre sur pause
IL Y A DES LUSTRES, LA TERRE S’EST ENDORMIE PENDANT UN MILLIARD D’ANNÉES. ON VIENT DE DÉMONTRER QUE LA VIE Y A ALORS PERDU DES PLUMES.
L’équipe de Galen Halverson se passionne pour l’une des périodes les moins palpitantes de l’histoire de la Terre ; on la surnomme le « milliard ennuyeux ». « C’est une longue “pause” qui a duré de 1,8 milliard d’années à 0,8 milliard d’années avant aujourd’hui, explique le géologue dans son bureau de l’Université McGill. Les archives géologiques montrent que, pendant cette pause, une étonnante stabilité régnait : environnementale, évolutive, tectonique, climatique… La Terre s’est pour ainsi dire figée. C’est un des grands mystères de la géologie. »
Pour en apprendre un peu plus sur ce pan de l’histoire terrestre, ses collègues et lui ont étudié une formation rocheuse constituée par l’accumulation de sédiments au fond d’un lac, à présent asséché, pendant cette époque « ennuyeuse ». Elle se trouve au coeur de l’Ontario, dans une unité géologique appelée Sibley, près de Thunder Bay, sur la rive nord du lac Supérieur. Les couches sédimentaires qui la composent contiennent des sulfates.
Que nous apprennent ces minéraux ? « Lorsqu’ils se sont formés, les sulfates de Sibley ont séquestré un échantillon de l’oxygène qui se trouvait dans l’atmosphère de la Terre il y a 1,4 milliard d’années, raconte le chercheur. Notre défi a été de prélever les sédiments sans les contaminer et d’analyser en laboratoire l’oxygène qu’ils contenaient. » Jamais un échantillon d’oxygène si ancien n’avait été analysé de cette façon, une besogne accomplie par le doctorant Peter Crockford.
Ils ont découvert que seule une petite partie de cet oxygène était le fruit de la photosynthèse menée par des organismes vivants, qui nd se résumaient alors aux bactéries. Ces résultats, publiés dans la revue Nature, révèlent que la vie était plutôt timide sur Terre à ce moment-là. La productivité primaire, c’est-à-dire la quantité de matière organique que les bactéries produisaient par photosynthèse, ne représentait que 6 % de ce qu’elle est actuellement.
Pour déterminer la part d’oxygène créée par les microorganismes qui peuplaient la Terre, les chercheurs ont dû départager les isotopes de l’oxygène présents dans les sulfates. Car il existe trois versions stables de l’atome d’oxygène : l’oxygène-16, le 17 et le 18, le nombre indiquant la quantité de neutrons et de protons dans le noyau. Le
16O représente 99,75 % de tout l’oxygène qui se trouve sur Terre, tandis que le 17O et le 18O complètent la tarte avec respectivement 0,04 % et 0,21 %.
Le dioxygène (O , celui qu’on respire), 2 qui se forme dans la stratosphère, est un peu plus riche en 16O, tandis que les deux autres isotopes sont en proportions un peu plus grandes dans l’ozone (O ). Quant aux 3 organismes photosynthétiques, le dioxygène qu’ils fabriquent contient les trois isotopes dans leurs proportions normales.
En évaluant les ratios des isotopes dans les sulfates de Sibley, l’équipe mesurait donc indirectement les proportions issues de chaque source. « Nous avons vu qu’il y avait une surabondance relative de 16O, donc d’oxygène provenant de la stratosphère », résume le professeur Halverson, mentionnant que les bactéries libéraient alors forcément moins d’oxygène par photosynthèse.
Cela peut paraître une évidence, compte tenu du fait que les organismes vivants étaient moins nombreux que maintenant.
Mais il faut savoir que, avant le milliard ennuyeux, il y a environ 3,5 milliards d’années, les premiers organismes photosynthétiques arrivaient à produire plus d’oxygène, comme l’indiquent de nombreux gisements de fer dont l’oxydation remonte à cette époque. Et après ce milliard d’années de surplace, les premiers êtres multicellulaires ont pu faire leur apparition parce qu’il y avait encore plus d’oxygène.
Entre les deux, les géologues se doutaient bien que la vie avait connu un recul et tourné au ralenti. C’est maintenant chose confirmée et mesurée. Avec un degré de précision impressionnant pour des archives géochimiques si anciennes.
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Ont aussi participé à la découverte : Thi Hao Bui, de l’Université McGill, ainsi que des chercheurs de l’Institut Weizmann des sciences d’Israël, de l’Université de Princeton, de l’Université Rice, de l’Université d’État de Louisiane, de l’Université de Pékin, de l’Université Yale, de l’Université de Californie à Riverside, de l’Université Lakehead à Thunder Bay et de l’Université du Colorado à Boulder.