Quebec Science

LE CABINET DES CURIOSITÉS

Des bribes du passé nous sont dévoilées au fil des découverte­s scientifiq­ues sur l’art préhistori­que.

- Par Annie Labrecque

L’art préhistori­que se dévoile au fil des découverte­s scientifiq­ues.

Il y a quelques années, l’archéologu­e québécois Maxime Aubert a exploré une grotte de calcaire ornée de traces de mains, de symboles et de figures animales. Le lieu a été découvert en 1990 sur l’île de Bornéo, en Indonésie. Le chercheur souhaitait y tester la technique de datation par l’uranium-thorium, qui est très précise lorsqu’elle est appliquée à des fragments de calcite. Ce minerai s’est déposé sur les peintures et les a protégées des outrages du temps.

Jusqu’alors, on croyait que ces oeuvres dataient d’il y a 10 000 ans. Elles se sont révélées beaucoup plus vieilles : l’un des dessins aurait au moins 40 000 ans. Ce serait même la plus ancienne oeuvre figurative (représenta­tion du visible, par opposition à l’art abstrait) découverte à ce jour ! Elle reproduit un grand animal de couleur rouge-orange, possibleme­nt un bovidé sauvage, selon l’article scientifiq­ue publié en 2018 dans Nature par Maxime Aubert et ses collègues australien­s et indonésien­s.

Les spécialist­es croyaient auparavant que l’art rupestre était né en Europe, où des grottes sont étudiées depuis des lustres. C’était sans compter les dessins réalisés à 10 000 km de là, en Asie du Sud-Est, aux mêmes périodes. « L’art rupestre y a évolué de façon similaire avec des représenta­tions de mains et de gros animaux pour ensuite en arriver à des peintures d’humains », souligne Maxime Aubert, qui continue ses exploratio­ns dans les grottes de la région de Bornéo.

Fait étonnant, les archéologu­es ont observé, dans plusieurs sites indonésien­s, des créations exécutées en deux phases, séparées par plusieurs dizaines de milliers d’années. « Des peintures se superposen­t, explique M. Aubert : une première phase en orange et la suivante en mauve. »

Mais pour en apprendre davantage sur ces « artistes », il reste encore beaucoup de travail à abattre. Qui étaient ces Homo

sapiens ? Pourquoi faisaient-ils ces pein- tures ? « Je travaille avec une équipe de l’Institut Max-Planck, en Allemagne, pour essayer d’extraire de l’ADN, s’il y en a, des traces de mains [voir la photo 3 ci-contre], dit le chercheur. Pour les produire, les artistes de l’époque devaient mettre les pigments dans leur bouche et souffler ensuite sur la paroi rocheuse où ils avaient posé leurs mains. Peut-être que de l’ADN ancien a été préservé ? Si ça fonctionne, ce serait vraiment incroyable ! »

AU FIL DES DÉCOUVERTE­S

Les nouveaux outils et les avancées dans les techniques de datation permettent petit à petit de parfaire les connaissan­ces sur la préhistoir­e. Par exemple, une étude publiée en 2013 par un archéologu­e américain a révélé que les traces de mains trouvées dans des

grottes d’Espagne et de France auraient été en grande partie laissées par des femmes. Puisque ce sont des représenta­tions animales qui décorent les parois, plusieurs chercheurs croyaient, à tort, que les hommes, ces chasseurs, en étaient les auteurs.

Plus récemment, en datant de nouveau des peintures de trois grottes espagnoles, une équipe britannico­allemande a constaté qu’elles avaient été réalisées par des Néandertal­iens il y a 64 000 ans, et non par l’Homo

sapiens moderne d’Europe, arrivé 20 000 ans après.

Malheureus­ement, toutes les oeuvres ne peuvent être datées, surtout en l’absence de calcaire. Quant à la technique au carbone 14, elle n’est pas efficace pour les oeuvres très anciennes. « J’ai vu beaucoup de peintures jusqu’à présent, mais peu dont on puisse déterminer la date », mentionne Maxime Aubert.

Le gros lot, c’est la peinture prise en sandwich entre deux couches de calcaire, indique le chercheur. Deux dates − un maximum et un minimum − fournissen­t alors de précieuses informatio­ns. Souhaitons- lui de nombreux sandwichs préhistori­ques !

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 ??  ?? Après analyse, deux échantillo­ns prélevés sur cette peinture auraient au moins entre 39 400 et 40 000 ans. L’oeuvre d’art est détériorée, mais les chercheurs croient qu’elle représente un banteng bornéen (une espèce de bovidé).
Après analyse, deux échantillo­ns prélevés sur cette peinture auraient au moins entre 39 400 et 40 000 ans. L’oeuvre d’art est détériorée, mais les chercheurs croient qu’elle représente un banteng bornéen (une espèce de bovidé).
 ??  ?? Peinture rupestre d’un bovidé sauvage de Bornéo, en Indonésie. Elle fait partie d’un grand panneau comportant au moins deux autres représenta­tions d’un bovidé sauvage, dont l’une date d’au minimum 40 000 ans. Il s’agit du plus ancien dessin figuratif connu du monde.
Peinture rupestre d’un bovidé sauvage de Bornéo, en Indonésie. Elle fait partie d’un grand panneau comportant au moins deux autres représenta­tions d’un bovidé sauvage, dont l’une date d’au minimum 40 000 ans. Il s’agit du plus ancien dessin figuratif connu du monde.
 ??  ?? Des mains en négatif. Celle de gauche a été réalisée il y a au moins 40 000 ans, en Indonésie, tandis que celle de droite date de la dernière période glaciaire, soit environ 20 000 ans. Les montagnes où sont situées les grottes de calcaire à Bornéo, en Indonésie.
Des mains en négatif. Celle de gauche a été réalisée il y a au moins 40 000 ans, en Indonésie, tandis que celle de droite date de la dernière période glaciaire, soit environ 20 000 ans. Les montagnes où sont situées les grottes de calcaire à Bornéo, en Indonésie.
 ??  ?? Découverte­s également à Bornéo, ces figures humaines datent de 13 600 ans et plus, mais pourraient remonter à l’apogée de la dernière glaciation, il y a20 000 ans. La figure de gauche est une reproducti­on mieux définie de l’originale, qu’on peut voir à droite.
Découverte­s également à Bornéo, ces figures humaines datent de 13 600 ans et plus, mais pourraient remonter à l’apogée de la dernière glaciation, il y a20 000 ans. La figure de gauche est une reproducti­on mieux définie de l’originale, qu’on peut voir à droite.
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