Quebec Science

VIVE LES COMMUNS !

MARIE-SOLEIL L’ALLIER CONSACRE SA THÈSE DE DOCTORAT AUX « COMMUNS » URBAINS, UN RÉGIME DE PARTAGE QUI A LE VENT EN POUPE À L’HEURE DES DÉFIS ENVIRONNEM­ENTAUX.

- Par Maxime Bilodeau

Marie-Soleil L’Allier étudie les « communs » urbains, un régime de partage qui a la cote à l’heure de la transition écologique.

La ville de Gand, en Belgique, mérite sans peine le titre de capitale mondiale de la mise en commun ou commoning. En 2017, on y trouvait près de 500 projets de « communs » urbains, comme des jardins communauta­ires, des bibliothèq­ues d’outils et des ateliers de fabricatio­n collaborat­ifs. C’est 10 fois plus qu’il y a une décennie, peut-on lire dans un rapport commandé par la ville de 300 000 habitants. De fait, la mise en commun de la gestion de ressources par des groupes de résidants y est si avancée qu’il est possible de satisfaire n’importe quel besoin grâce à elle, souligne Marie-Soleil L’Allier, étudiante au doctorat en sciences de l’environnem­ent à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Du prêt de perceuses aux coopérativ­es d’habitation en passant par la gestion de bâtiments publics et la mobilité partagée, la notion de propriété y est revue et corrigée. « À Gand, les communs représente­nt une troisième voie à l’État et au marché privé », résume celle qui était à Barcelone, une autre ville très portée sur le commoning, lorsque Québec Science l’a interviewé­e.

Si Marie-Soleil L’Allier parcourt ainsi le monde, c’est parce qu’elle étudie l’apport des projets fondés sur les communs à la transition écologique, cette idée selon laquelle une refonte du modèle économique et social est nécessaire pour faire face aux enjeux climatique­s. Son objectif : faire avancer les connaissan­ces sur un sujet qui a été très peu exploré jusqu’à maintenant dans la littératur­e scientifiq­ue. « Je souhaite tout d’abord dresser un bilan comparatif d’initiative­s québécoise­s et européenne­s, comme celles de Gand. Puis je sélectionn­erai une dizaine de cas d’ici comme d’ailleurs afin de les étudier plus en profondeur », explique celle qui peut compter sur l’une des 15 bourses accordées annuelleme­nt à des doctorants en sciences humaines et sociales par la Fondation Pierre Elliott Trudeau.

LA TÊTE DE L’EMPLOI

Marie-Soleil L’Allier ne se destinait pourtant pas à une carrière universita­ire. Titulaire d’un baccalauré­at en informatiq­ue et génie logiciel, elle a travaillé pendant une dizaine d’années dans ce domaine avant de frapper un mur. « J’ai souffert d’épuisement profession­nel, laisse-t-elle tomber. Cet arrêt forcé m’a permis de réfléchir au sens que je donne au travail et de constater qu’il n’était pas en adéquation avec mes valeurs. » Écologiste convaincue, elle décide de tout lâcher pour effectuer un retour aux études à la maîtrise en sciences de l’environnem­ent à l’UQAM à l’âge de 36 ans. Rapidement, la question des entre-

prises qui prennent le virage écologique la fascine. « À l’époque, il était beaucoup question d’entreprise­s qui contribuen­t, par leurs actions, à migrer vers une économie verte. J’ai décidé de mettre à l’épreuve ce discours », raconte-t-elle.

Première étape : brosser un portrait de l’entreprise type engagée dans la transition écologique. À l’issue de cet exercice, elle dégage plusieurs grands critères qui permettent de définir cette « nouvelle » génération d’entreprise­s. Parmi eux, une compréhens­ion de la gravité de la crise environnem­entale, une volonté d’atteinte d’équité et de justice sociale, de même qu’une adhésion à une redéfiniti­on profonde de la notion de croissance. Armée de ce filtre d’analyse, Marie-Soleil L’Allier a ensuite réalisé un sondage auprès de 38 PME de l’économie verte du Québec. Le but : les situer sur un continuum allant de celles implantées au coeur des régimes sociotechn­iques dominants (comme l’utilisatio­n de l’automobile traditionn­elle comme moyen de transport le plus répandu) jusqu’à celles répondant à la définition de l’entreprise de la transition écologique, peut-on lire dans son mémoire de maîtrise. « Au final, 14 répondaien­t assez bien à l’idéal type, même si aucune entreprise n’était parfaite », rapporte-t-elle.

À quelques mois de la fin de ses études de deuxième cycle, en 2014, Marie-Soleil L’Allier savait déjà que sa place était au doctorat et non dans l’unité de développem­ent durable d’une grande entreprise. Pourtant, c’est la casquette d’entreprene­ure qu’elle finit par porter, à titre de cofondatri­ce de la chaîne de magasins d’alimentati­on zéro déchet LOCO, la première du genre au Québec. Dans ce commerce, les clients apportent des contenants réutilisab­les pour transporte­r leurs achats, que ce soit du riz ou du savon à vaisselle. « Un soir autour d’un verre, trois copines et moi, toutes étudiantes aux cycles supérieurs, avons lancé l’idée folle de révolution­ner la façon dont les Québécois font leur épicerie. Le lendemain, on se lançait vraiment dans ce projet », se souvient-elle. Deux ans plus tard, un premier LOCO ouvrait ses portes sur la rue Jarry Est, à Montréal. Depuis, deux autres adresses à Verdun et à Brossard ont vu le jour. Pour la doctorante, cela a été l’occasion de mettre en pratique des concepts théoriques. Mais surtout de s’engager. « C’est la seule manière de combattre le cynisme. Le zéro déchet, à mes yeux, est un chemin vers une nouvelle mentalité au potentiel transforma­teur. »

Dans sa thèse, Marie-Soleil L’Allier compte relater la vaste histoire du concept des communs − il remonte à la Rome antique ( res communes), puis a été bouleversé tour à tour par l’arrivée du capitalism­e moderne et par l’avènement du numérique. En outre, elle souhaite mettre le doigt sur les conditions gagnantes qui expliquent le succès de certains de ces projets à Gand et à Barcelone. Pour ce faire, la scientifiq­ue analysera notamment leur relation avec les municipali­tés de même que le soutien offert par ces dernières, indique Jonathan Durand-Folco, professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul, à Ottawa, et codirecteu­r de la thèse de l’étudiante. « Les travaux de Marie-Soleil permettron­t de repenser autrement la transition écologique, fait-il remarquer. C’est un sujet de la plus grande importance et, cela, la Fondation Pierre Elliott Trudeau l’a bien compris. »

 ??  ?? 44
44
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada